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374 devait soigneusement éviter tout contact avec elle et ne lui faire aucun emprunt. On ne peut disconvenir de cette insta- bilité; mais à cela que faire? n'y a-t-il pas souvent nécessité de parler des choses les plus éphémères et de leur donner un nom? Et d'ailleurs comment distinguer ce qui ne fera que traverser la langue de ce qui lui est définitivement acquis ? Au reste, toute une partie de la langue scientifique se trouve à l'abri de ces changements : c'est celle qui sert à désigner les phénomènes. Quelques soient les explications qu'on en donne successivement, il leur faut un nom qui soit durable et sur- vive aux systèmes. Les astronomes ont assigné différentes causes a la scintillation, mais ce mot n'a jamais été remplacé. Ainsi du mot effervescence, nouveau pour Mme de Sévigné. Ce que, dans les langues, nous appelons corruption, n'est le plus souvent qu'une chose toute relative. C'est nous-mêmes qui la créons en nommant ainsi tout ce qui s'écarte d'un mo- dèle arbitrairement établi; c'est nous qui, en érigeant la lan- gue d'une époque en un type immuable et sacré, y préparons des atteintes inévitables. Heureusement qu'il dépend toujours de nous, en abrogeant la loi que nous avons faite, de suppri- mer ce mal imaginaire et il n'en restera môme plus trace dans les mots quand, au lieu de dire d'un peuple qui vit et pro- gresse que sa langue se corrompt, nous dirons qu'elle change. « Les langues, dit M. Villemain, meurent avant l'extinc- tion des races qui les ont parlées (l). » Avant les races, en-^ tendez-le bien, mais non pas avant les nations. Une nation el sa langue ont même sort. La nation et la langue romaine ont péri en même temps : quand les Barbares entament de toutes parts les frontières, font irruption dans le sénat e vont s'asseoir même sur le trône, comment la langue se dé- fendrait-elle et ne serait-elle pas violée aussi bien que l'unitô (r) Préface du Dictionnaire de l'Acaiit'mie.