page suivante »
S54
la variété infinie de la végétation dans ces hauteurs. Là des
arbres de toutes les natures, de toutes les formes, de tous
les âges et de tous les parfums se groupent, se pressent, s'en-
lacent sur des rochers immenses aux aspects variés, tandis
qu'ils sont escaladés par cent mille lianes chargées de plus
de fleurs que de feuilles. Tout cela est à la fois embaumé,
grand, léger, bizarre, tout cela est incomparable et l'on peut
retrouver dans ces majestueuses ravines les empreintes d'un
âge vieux comme le monde, ou se croire, tant il y a de puissance
et d'éclat, aux premiers jours de la création. Mais si on s'élève
davantage, tout change -, là plus rien n'est vivant. Partout des
cailloux jonchés, partout des rochers nus, partout des mousses
avortées. Pays sans végétations et sans eaux, à peu près vierge
de pas humains, il n'offre que des plaines sombres el des
sommets plus sombres encore devant lesquels l'œil s'égare e(
le cœur s'épouvante. Le chant des petits pâtres, lorsqu'il des-
cend d'échos en échos jusqu'au fond des ravines, ne ressemble
plus au récitatif aigre et monotone qui est le constant auxi-
liaire de tous les travaux des noirs. Ce chant est toujours en
rapport avec leur nature différente ; le jeune nègre africain,
robuste, gai par insouciance, a un timbre de voix sonore, des
refrains multipliés ; l'indien plus élégant dans ses formes, plus
élancé, plus grêle dans sa taille, porte dans le chant une len-
teur qui est douce et qui n'est pas dépourvue de mélancolie-
L'un el l'autre thème sont assez uniformes, mais la mobile
expression des chanteurs sait les variera l'infini. Généralement
fort simples de pensée; les couplets créoles empruntent tout
leur charme à la mollesse expressive (le leur idiome. Après
une nomenclature de fleurs et de fruits qui serait intraduisi-
ble, je n'ai rien autant aimé que ce candide conseil d'une
chanson d'amour :
Il faut marcher sur celle terre
Comme Dieu veut el vcul ton cœur :
L'amour qu'épure une prière
C'esl le bonheur !