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    La noblesse que les mots doivent a leur nouveauté, à leur
 sonorité, à quelque chose que l'oreille seule apprécie et juge,
se change en roture lorsqu'avec le temps elle y devient inat-
tenlive. Pourtant il se peut qu'ils reviennent un jour en leur
premier lustre : c'est dans un repos complet, dans un oubli
prolongé que les mots fatigués se retrempent et retrouvent
jeunesse et vigueur. En outre, c'est seulement dans le repos
et loin des familiarités du langage commun que certaines as-
sociations d'idées peuvent être rompues ; car, s'il est pour les
mots une noblesse un peu arbitraire dont la nouveauté et le
caprice décident, il en existe une autre plus réelle et plus
rationnelle : la bassesse de quelques idées s'étendra toujours
aux mots qui les expriment; au contraire, il est des mots qui
depuis le commencement du monde sont dans toutes les bou-
ches et qui ne deviendront jamais vulgaires, parce qu'ils sont
soutenus par la noblesse de l'idée. Les mots que les hommes
 ont consacrés aux sentiments généreux, aux rapports sympa-
thiques seront toujours neufs et aussi ceux que leur ont ins-
piré l'adoration et la pensée de Dieu.
    Notre langue noble, créée à l'époque de la renaissance,
procède à la fois de la nouveauté de l'expression et de la
nature de l'idée: son vocabulaire formé par les savants, de
mots tirés directement du latin, fut réservé à des idées choisies,
et par là sauvé de l'avilissement ou l'expression privilégiée
des détails retient toujours une partie de la langue.
    C'est parce qu'elle ne touche à aucun détail que l'ex-
pression générale est, en même temps, l'expression noble ;
mais c'est aussi pour cela qu'elle est vague, abstraite, qu'elle
 a peur du vrai, qu'elle élude le réel. Les mots usuels, au
contraire, accusent le moindre trait, ne dédaignent rien et
contractent dans la fréquentation commune quelque chose
d'énergique et de précis. Lassés d'une parole sans relief
 l'écrivain et l'homme du monde les accueillent volontiers,