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365 qui sont nés sous une constellation heureuse et que le chan- celier Bacon appelle les enfants favoris de la fortune (1). » A force de se préoccuper des mots on finit par leur créer une personnalité avec laquelle on entre en rapport, pour laquelle on se passsionne ou que l'on prend en grippe. Plusieurs aca- démiciens essayèrent de bannir de la langue la conjonction car, sans rien avoir pour la remplacer. Patru avait la plus grande aversion pour le mot affable : « Il est français, disait-il, mais laissons-le dire aux autres. » Alors on use d'une circonlocu- tion, de môme que, pour éviter la maison de son ennemi, on ne craint pas de prendre le chemin le plus long. A cette répul- sion nerveuse et non motivée pour certains mots, il faut ajouter l'effet beaucoup plus explicable de l'antipathie pour les per- sonnes. Il y eut, dans l'Académie, une cabale contre le mot prosateur que Ménage avait emprunté à l'italien : « Ménage, disait-on, a fait prosateur; eh ! bien, nous le déferons. » N i - cole a dit le premier resserrement de cœur; le père Bonhours condamne ce mot : « Je n'en suis pas surpris, dit Bichelet, MM. de Port-Boyal s'en étaient servis. » Ce qui caractérise surtout cette époque, c'est la mesure, la prudence. Assurer chacun de ses pas, ne rien risquer, ne rien donner au hasard est la règle dont nul ne se départit. « Notre langue, dit Bonhours, est si réservée dans l'usage des méta- phores, qu'elle n'ose employer celles qui sont un peu for- tes, si elles ne les adoucit par si fose dire; pour user de ce terme; pour parler ainsi; s'il m'est permis de m'exprimer de la sorte (2). » Ne semble-t-il pas voir un acrobate qui avance timidement sur la corde et n'ose s'y risquer sans balancier, ou un aéronaute qui ne quitte la terre que muni d'un parachute. (i) Bonhours : Doutes sur la langue françoise proposes â MM. de l'Acadé- mie, par un gentilhomme de province. (•>.) Entreliens d'Ariste et d'Eugène.