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833 On peut tenter de recouvrer quelques-unes de nos r i - chesses perdues, mais avant tout songeons à conserver celles qui nous restent, par exemple nos derniers idiotis- rnes menacés comme tout ce qui diffère, comme les costu- mes des diverses régions de la France, les mœurs et les coutumes locales, les existences à part, les caractères excen- triques. Débris de l'ancienne langue, lesidiotismes sont irré- guliers dans la nouvelle. Ce n'est pas qu'ils ne suivent aucune règle, mais ils demeurent soumis à des lois dont nous nous sommes écartés. Soldats restés seuls de régimems détruits par le temps, ils en portent encore l'uniforme ; ils ne connais- sent que la vieille manœuvre et y règlent leurs mouvements. Dans nos langues modernes, toute une partie est antique : De môme, dans toutes nos cités, à côté de leur portion r é - cente qui s'étend régulièrement dans la plaine, existe la vieille ville dont les rues étroites et sinueuses suivent les ondulations du coteau. Gardons-nous bien de détruire ce qu'il en reste ! que tout ne soit pas tracé à l'équerre et au cordeau ! ces rues qui serpentent ont des surprises, des aspects inattendus et pleins de charmes. Ce labyrinthe pourrait embarrasser un étranger, mais n'a pas de secret pour nous accoutumés dès l'enfance à ses détours. L'idiotisme naît souvent de l'el- lipse; c'est un sentier qui abrège, mais ardu et dont il faut savoir l'endroit. Que de vieux mots nous ont conservé les expressions idiotiques! isolés, ils ont péri; mais, liés à un tout dont ils font partie, ils subsistent par un bienfait de l'as- sociation, comme la baguette protégée par le reste du faisceau. L'idiotisme se cache dans le style familier et lui prête sa grâce ; dans le style incisif, et lui donne la verve et la gaîté ; il exprime les sentiments intimes du peuple qui est le conserva- teur naturel de ces piquantes locutions, et c'est chez lui qu'il faut aller s'en pourvoir, bien qu'avec choix, quand on veut éviter la pâleur et la monotonie du style. (La suite au prochain numéro). Paul RRUYAS.