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296 mie. Que nous importe qu'un mot sorte de tel ou tel idiome, s'il n'est qu'imparfaitement connu et d'un petit nombre de sa- vants ! Mais, si un mot arrive dans notre langue après en avoir traversé une autre qui nous est familière, s'il y est teint d'une certaine nuance, s'il y a contracté certaines allures dont il ne peut désormais se défaire, certes ! il nous importe de le savoir. Une langue, comme un peuple, doit être étudiée dans son histoire. Les qualités essentielles du style sont la justesse et la force : or, comment revêtir ses idées de paroles justes et for- tes si l'on n'a pas lu dans leur passé leur valeur et leur portée actuelle? Il faut donc suivre les mots pas à pas et s'arrêter à chacune des phases qu'ils traversent ; il faut prendre garde aux choses actuelles, pour remonter à l'instant où elles se produi- sent, et aux choses qui n'ont plus vie ni cours, pour marquer le point où elles se perdent. La science étymologique, en nous ramenant sans cesse aux sources, peut seule combattre l'influence funeste de l'oubli et de l'habitude, ces deux vers que le temps fait écloredans tout langage et qui en ruinent sourdement les plus belles fleurs. L'esprit dérive d'idée en idée, comme un vaisseau qui chasse sur son ancre. A force d'étendre et de détourner le sens des mots, le point de départ est souvent impossible à retrouver. Le sens figuré fait à la longue oublier le sens propre et devient quelquefois la base d'une figure nouvelle. À travers ces cou- ches successives, comment pénétrer jusqu'à la signification première? Comment choisir dans la dégradation d'une même teinte ? Sans un fil conducteur on s'égare loin des acceptions légitimes. Mais la connaissance des origines apprend moins à réformer les mauvaises locutions qu'à se servir des bonnes, car il est une prescription pour les fautes de langage. La médecine ortho- pédique ne se prend qu'aux déviations récentes, et le plus sou-