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321 liberté : à Rome, certains esclaves avaient dans leur pécule d'autres esclaves (1) de qui ils pouvaient se faire suivre, tandis qu'eux-mêmes suivaient leurs maîtres; en étaient-ils moins des esclaves? Du Bellay subissait une double influence qui peut seule expliquer ses velléités d'indépendance et sa pente à la servi- tude. On comprend mal, au premier abord, comment, après avoir plaidé avec chaleur, avec succès, la cause de la langue rialionale, il abaisse aussitôt sa victoire devant les littératures antiques. C'est que précisément elles dévoilaient et vulgari- saient leurs plus précieux trésors au moment où notre langue se constituait et commençait à se substituer au latin. La liberté d'écrire dans la langue de leur pensée à peine recouvrée, nos auteurs abdiquaient la spontanéité de leur imagination en présence de ces modèles imposants qui commandaient l'admi- ration et par malheur aussi l'imitation. Cette apparente contradiction, nous la retrouvons dans tou- tes les tentatives de Ronsard et de son école. Il ne vit pas dans le commerce des anciens sans leur emprunter beaucoup. Le courant de l'imitation antique dépose une seconde couche de mots grecs et latins et Ronsard en fait le fond d'un dictionnaire de choix à qui le langage devra demander la noblesse et l'éclat. On conçoit comment ces mots pouvaient être plus nobles : ils s'étaient conservés dans les livres et les manuscrits à l'abri des flétrissures de l'usage. En môme temps, Ronsard a des retours pleins de tendresse vers cette langue maternelle pour laquelle il avait combattu. 11 prend aux dialectes provinciaux ce qu'ils ont déplus expressif et puise dans le vocabulaire des arts et métiers, sans qu'aucun dédain lui fasse négliger celte source populaire de mots énergiques et ingénieux. Ecoutons Du Bellay, son in- terprèle: « Encores te veux-je advertir de hanter quelque- (i) Vicarii. 21