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302 avons reçu le pouvoir de faire les langues et non une langue toute faite (1). L'homme a la parole comme il a la pensée, par une prérogative de sa nature. Mais si aucune de ces deux fa- cultés n'est antérieure à l'autre, leurs manifestations, loin d'être simultanées, sont nécessairement successives. Le mot n'a pu naître avant l'idée, ni en même temps. La pensée a besoin de s'appuyer sur les signes, mais elle existe sans eux et avant eux ; il faut donc rejeter tout système qui ne les lui subordonnerait pas entièrement. La pensée lient à l'existence de l'homme, c'est quelque chose d'absolu ; la parole tient à sa vie de relation. Mais ce qui montre combien l'homme est fait pour la société est combien iî est impossible de le concevoir hors de ce milieu, c'est que l'instrument de ses rapports avec ses semblables est en même temps le moyen nécessaire du perfectionnement de sa pensée individuelle. C'est par l'onomatopée et les figures que l'homme fait sa langue. 11 prête l'oreille à tous les bruits de la nature et forme le nom de chaque objet du son qui en émane. Les sons auxquels il s'essaye d'abord sont ceux qui peuvent être produits avec un moindre effort et par quelque partie plus mobile de l'organe encore rude et inculte de la parole : la lèvre nous a donné la première, la plus extérieure, la plus douce des consonnes. Cette marche est la même que nous pouvons chaque jour observer chez l'enfant. Il débute par des articulations molles comme ses organes. Aussi les mots que l'on présente à son imitation portent tous une labiale, et se composent d'une même syllabe deux fois répétée, car aucune ne saurait lui être plus facile que celle qu'il vient de prononcer. De la sorte, chaque mot de la langue en- (t) Voyez Gciit'S'. cap. II. v. 19.