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morte dans ses étals successifs. Une société qui a beaucoup
duré traîne après elle un long passé qui la grandit, il
est vrai, et lui donne de la majesté, mais retarde et em-
barrasse sa marche. Ce passé absorbe les hommes ; la mé-
moire trop occupée s'exerce et se développe aux dépens de
l'imagination, de la réflexion et des autres facultés.
   Cet inconvénient serait pourtant beaucoup atténué si une
route aplanie, des moyens préparés rendaient cette élude
plus facile. Mais, dans les dictionnaires, la science est frac-
tionnée, insaisissable ; elle y est d'ailleurs incomplète, la
langue d'hier n'y expliquant pas la langue d'aujourd'hui.
Les grammaires ne s'occupent non plus que de la langue
moderne ; on y expose des règles sans en chercher la raison
dans le passé, sans montrer que tout ce qui est maintenant
exceptionnel, irrégulier, a commencé par être normal. Une
des bonnes raisons que l'on allègue pour justifier l'étude
des langues anciennes, c'est qu'elle est un préliminaire et
une condition indispensables de la pleine connaissance de
notre propre langue ; mais on ne va pas au delà des prélimi-
naires et, les fondements jetés, on oublie de construire. Il
faudrait, pour obtenir cet utile résultat, que les origines
de la langue française, ses phases diverses, ses rapports avec
les autres langues devinssent l'objet d'un enseignement spé-
cial. Je sais qu'un élève intelligent et curieux peut faire
des rapprochements féconds et deviner beaucoup ; mais je
 ne parle pas de cette éducation exceptionnelle que certains
esprits se font à eux-mêmes, quoiqu'avec beaucoup de peine
et de temps: sur ce point, comme sur tout autre, on ne
doit se fier, ni au hasard pour les rapports à établir, ni
à la sagacité courante pour en dégager l'inconnu.
   On a dit avec raison que le premier livre d'une langue
est son dictionnaire cl on en a, par suite, recommandé
l'étude. Mais combien auront le courage d'entreprendre la