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293 tout ce qu'il garde du passé : on connaîtra le mystère des races, leurs migrations, leurs mélanges; les langues habile- ment interrogées témoigneront des grands déplacements des familles humaines et suppléeront au silence de l'histoire. Qui sait si, faisant un échelon de chaque idiome, on ne pourra pas remonter à l'origine des choses? On s'élance, mais l'air manque bientôt à cet essor ambitieux. Les obstacles et les in- certitudes naissent de toute part. Si nous voulons suivre une langue au-delà de ses origines immédiates, nous arrivons bien vite à un idiome auquel nous sommes forcés de nous arrêter, parce qu'il ne se rapporte à rien de connu, parce que, en essayant de le ramener à quel- que chose d'antérieur, nous le trouvons irréductible. Nous ne pouvons aller plus avant, mais ce n'est pas â dire pour cela que nous ayons rencontré la langue-mère. « Les langues que « nous appelons mères, dit de Brosses, sont véritablement « mères de quelques-unes, mais filles de beaucoup d'autres, » et l'homme ne peut déchiffrer les titres les plus anciens de cette lointaine généalogie. Les langues qui, en se succédant, se lèguent de proche en proche leurs débris, m'apparaissent comme de larges bassins, d'immenses réservoirs élagés sur une montagne élevée, chacun se déversant dans celui qui se trouve au-dessous. Nous gravissons le bas de la montagne, nous examinons à l'aise l'écoulement des eaux, nous savons découvrir leurs filtratkms les plus secrètes, leurs suintements les plus insensibles; mais, pour les bassins supérieurs, l'es- carpement des rochers en défend l'approche et des nuages amassés au sommet en dérobent la vue. La science moderne a osé s'engager dans ces ténèbres et s'y est maintefois égarée. Jadis, loin de prétendre écrire les pages blanches de l'histoire, le philologue, toujours en garde contre les coïncidences fortuites, ne tenait compte des rap- ports entre les mois qu'aulant qu'ils semblaient justifiés par