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sont les mots qui traînent les idées après eux et les fixent,
péniblement. 11 est une autre mémoire à l'usage de l'homme
fait; c'est celle qui, prévenant toute hésitation, fournit à
l'instant l'expression la mieux appropriée à la pensée. Elle
manque souvent aux vieillards ; chez eux, l'intelligence a le
beau rôle et prend sa revanche : ce sont les idées qui ont
les mots à leur remorque.
   D'un côté les mots et la mémoire, de l'autre la pensée
et la réflexion sont les sources de deux genres d'éloquence
bien différents. La meilleure est celle qui naît de la con-
viction, qui part de sentiments profonds et vrais, de ce qu'il
y a en nous de plus intime. On veut exprimer une idée
vivement sentie, on s'applique à la bien rendre, car c'est
le seul moyen de la faire accueillir, de la propager et l'on
y réussit, comme dans ces pièces de théâtre ou une émo-
tion violente, la nécessité impérieuse de faire une révélation
finit toujours par délier la langue des muets. L'autre élo-
quence est moins forte de choses, plus verbeuse. Loin de
procéder de la conviction, elle donne parfois naissance à
une conviction ou du moins à quelque chose qui y ressemble
et qui en tient lieu. On se sent à un certain degré la fa-
cilité de l'expression, une élégance native, une grande flui-
dité de langage et, pour l'utiliser, on se met en quête d'idées
que l'on puisse revêtir de cette robe brillante ; on a le don
des phrases, mais on sent que quelque chose doit les sou-
tenir. Si, entre les idées qui ont cours, on fait choix d'une
seule, si l'on s'y voue, c'est là une conviction née de l'élo-
quence.
   Je dois compléter ce que j'ai dit ailleurs sur la corrup-
tion du langage en parlant ici de l'altération qu'il fait lui-
même subir à la pensée. Elle n'arrive pas à nous sans tra-
verser l'expression et trop souvent dans ce milieu elle éprouve
une sorte de réfraction et de brisement. La symétrie et les