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gnaient les phrases défectueuses. La critique, de nos jours,
n'est plus souîigneuse] elle dénigre ou exalte sans dire tou-
jours pourquoi, cite peu et prétend s'élever comme l'aigle et
planer sur l'ensemble d'une Å“uvre. Je sais qu'elle ne pouvait
accepter les procédés patients et minutieux de ces tyrans des
mois et des syllabes; mais aujourd'hui n'affiche-t-elle pas
trop de dédain pour la grammaire et le détail? ne serait-il
pas bien d'employer quelquefois, pour conserver, le moyen qui
a servi à acquérir?
   Au lit de mort, Malherbe s'irritait des solécismes de sa
garde-malade et l'en gourmandait vivement, malgré les ex-
hortations de son confesseur; Ménage était au désespoir d'a-
voir vu naître le mot brocanteur et de mourir sans en avoir pu
découvrir l'étymologie. L'on a tourné en ridicule cette préoc-
cupation du mot et de la règle, mais non pas à une époque où,
puisque l'on avait rejeté la langue antérieure, on sentait le
besoin d'en constituer une nouvelle et d'en régler les détails.
La raillerie n'est venue que plus lard et n'a atteint que les
continuateurs sans but d'une Å“uvre accomplie. Alors Rivarol
disait de Beauzée qu'il avait vécu entre le gérondif et le supin,
et récemment on afait la piquante description d'une académie
dont chaque membre est occupé à vanner des adverbes, à trier
des adjectifs, à écosser des particules (1).
   La tendance d'une époque se révèle partout, dans ses jeux,
ses délassements les plus frivoles, comme dans ses travaux les
plus graves. Au moment dont je parle, les jeux sont des jeux
d'esprit; celui dessynonimes remplit les loisirs d'une société
polie; attentive à tout ce qui s'opère dans la langue, elle y
prend part au moyen de ce passe temps. On prenait les mots
les plus voisins pour en chercher les différences avec une sub-
tilité qui les créait quelquefois, et c'était un art de les réu-


  (i) Charles Nodier,