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327 née par l'établissement de sa nationalité; la langue se constitue comme la nation, en môme temps et par les mê- mes moyens. Une nation n'existe véritablement que le jour où ses parties ont cessé de vivre et de se mouvoir à part, et elles n'arrivent à l'état de cohésion qu'en se reliant à un cen- tre doué d'une force puissante d'attraction. Or, l'influence politique de ce centre donne à sa langue, déjà plus riche le plus exercée, parce qu'il y avait depuis longtemps plus de vie et de pensée, une prépondérance telle qu'elle s'impose sou- vent au reste de la nation. Ainsi le castillan est devenu langue littéraire, parce que autour de la Castille lesEspagnes se sont agglomérées en royaume. L'Italie a plusieurs centres distincts dont aucun n'a pu se subordonner les autres et les entraîner dans son mouvement; c'est pourquoi rien de commun ne s'y est produit; les petites nationalités et les petits dialectes n'ont pu y être absorbés, et aujourd'hui encore l'Italie ne forme pas un seul état et ne parle pas une langue identique. Florence, par sa position, par son antique prééminence entre les répu- bliques italiennes, par l'éclat de sa littérature, semblait de- voir imposer son dictionnaire pour code du langage ; mais la Crusca a rencontré de nombreuses résistances. Quand on demandait à Malherbe qui parle bon français, il répondait : «Ce sont les crocheleurs du port au bled. » Qui ne connaîtrait de Malherbe que ce mol le compterait parmi les amis des langues locales et de ce qui est naïf, spontané; mais il ne faut y voir qu'une réaction contre Ronsard, contre ses importations de mots latins et de mots patois. Instrument de centralisation littéraire, Malherbe voulait faire prévaloir le langage du peuple de la capitale. II n'eut donc pas, ainsi que Régnier, les inslincts populaires que sa réponse pourrait lui faire supposer : à son grè, les mots des dialectes et ceux de la foule manquaient de noblesse ; l'ancienne langue était irrégulière et sous-entendail trop, sa phrase n'était pas assez