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S14 l'Anglois, l'Ecossois se paissent de la douceur de nostre vul- gaire et nous François naturels ne mettrons peine à l'illus- trer par escrits et faire aux autres nations paroistre que ce n'est point un corps sans ame (I). » Cette illustration ne lui venait guère que du naïf poète gaulois, presque toujours ignorant des langues antiques, et qui rimait rondeaux, ballades et virelais sans trop songer à la pos- térité. Mais pour tous ceux qui, par une confiance souvent trompée, se préoccupaient de l'avenir, témoins des transfor- mations rapides de la langue, ils hésitaient à lui confier leurs travaux. La parole vulgaire leur paraissait pour leurs idées un véhicule encore trop mobile et trop incertain. Un autre passage des lettres de Pasquier nous montre dans les plus chauds défenseurs de l'idiome national la conscience que sa forme n'é- tait pas définitive, et la crainte qu'un jour leur pensée ne vint à périr ou, séparation douloureuse, ne fût dépouillée de la forme dans laquelle ils l'avaient conçue et sous laquelle ils l'aimaient : « Entre les labeurs de nos esprits, je n'en estime aucun plus pénible et plus ingrat que celui d'un traducteur... Je crains que nos traductions ne se transmettent à nos sur- vivans, ains meurent avec nostre vulgaire, qui se change de cent ans en cent ans, demeurans par ce moyen nos traduc- tions ensevelies dans les ténèbres d'une longue ancienneté. Et de ma part, je ne souhaite en mon mesnage ces beaux d'église, que l'on fait à quatre vingts dix et neuf ans seu- lement; mais un héritage, bien que non si riche, qui soit mien à perpétuité, avec espérance de le laisser à ma postérité pour un (onjoursmais. Quand nos inventions sont de mérite, quelque changement qu'il y ait d'un vulgaire, on est con- traint de venir à nous, pour n'y avoir d'autres protocoles; voire que si Ses paroles desplaisent pour être trop anciennes, (i) Livre I, le lire II.