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l'Anglois, l'Ecossois se paissent de la douceur de nostre vul-
gaire et nous François naturels ne mettrons peine à l'illus-
trer par escrits et faire aux autres nations paroistre que ce
n'est point un corps sans ame (I). »
   Cette illustration ne lui venait guère que du naïf poète
gaulois, presque toujours ignorant des langues antiques, et qui
rimait rondeaux, ballades et virelais sans trop songer à la pos-
térité. Mais pour tous ceux qui, par une confiance souvent
trompée, se préoccupaient de l'avenir, témoins des transfor-
mations rapides de la langue, ils hésitaient à lui confier leurs
travaux. La parole vulgaire leur paraissait pour leurs idées
un véhicule encore trop mobile et trop incertain. Un autre
passage des lettres de Pasquier nous montre dans les plus chauds
défenseurs de l'idiome national la conscience que sa forme n'é-
tait pas définitive, et la crainte qu'un jour leur pensée ne vint
à périr ou, séparation douloureuse, ne fût dépouillée de la
forme dans laquelle ils l'avaient conçue et sous laquelle ils
l'aimaient : « Entre les labeurs de nos esprits, je n'en estime
aucun plus pénible et plus ingrat que celui d'un traducteur...
Je crains que nos traductions ne se transmettent à nos sur-
vivans, ains meurent avec nostre vulgaire, qui se change de
cent ans en cent ans, demeurans par ce moyen nos traduc-
tions ensevelies dans les ténèbres d'une longue ancienneté.
Et de ma part, je ne souhaite en mon mesnage ces beaux
d'église, que l'on fait à quatre vingts dix et neuf ans seu-
lement; mais un héritage, bien que non si riche, qui soit
mien à perpétuité, avec espérance de le laisser à ma postérité
pour un (onjoursmais. Quand nos inventions sont de mérite,
quelque changement qu'il y ait d'un vulgaire, on est con-
traint de venir à nous, pour n'y avoir d'autres protocoles;
voire que si Ses paroles desplaisent pour être trop anciennes,


  (i) Livre I, le lire II.