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il est vrai que c'est aussi le reproche le plus terrible qu'un des
mêmes critiques ait adressé à Platon.
    Certes, la découverte d'une analogie ne donne pas à l'homme
l'absolu du vrai; mais quelle formule abstraite le lui donne? quel
théorème contient l'infini? La vérité c'est l'être, c'est la vie, or
l'expression concrète renferme plus de vie que la formule algébrique;
la comparaison, l'analogie donnent une idée plus profonde de la réa-
lité que le langage analytique. De quel instrument voulez-vous que
le serve la science quand elle scrute l'infini, voulez-vous faire l'ana-
lomie de Dieu avec le scalpel? Là où s'arrête la puissance de l'ana-
lyse, commence l'usage légitime et nécessaire de la plus puissante
de nos facuhés, de l'intuition qu'on appelle vulgairement l'imagina-
 tion.
    Si l'on décore de ce nom une effervescence déréglée du cerveau,
ou le flux éblouissant de la parole, ce n'est pas la faute de la poésie,
l'expression qu'elle donne du vrai est à la fois plus complète, plus
profonde, plus vivante et aussi rigoureusement exacte que l'expli-
cation mathématique, il faut ajouter seulement que pour arriver
jusqu'à la raison elle a besoin de traverser un sens dont quelques
hommes sont dépourvus.
    Ce sens, le plus exquis de tous, est celui qui est le plus facilement
vicié; aussi règne-t-il autour de nous l'ignorance la plus étrange sur
ce qu'est réellement la poésie, on saurait sans cela combien elle est
voisine de la philosophie, non pas de la philosophie étriquée des
anatomistes, mais de la vraie, mais de la grande philosophie, si bien
que l'on peut dire qu'arrivées à une certaine hauteur, la poésie
et la philosophie sont identiques.
    Ce n'est pas ici le lieu de définir la poésie, mais pour rentrer
dans notre sujet, nous dirons qu'on peut la représenter comme
retraçant à l'ame la forme indéfinie de l'infini. Le terme le plus éle-
vé des arts qui sont la langue de la poésie, c'est de dévoiler le plus
d'infini possible à travers l'expression la plus précise, la plus plas-
tique, la plus définie. Entre les arts, ceux dont l'expression est la
moins définie sont ceux qui nous découvrent le plus d'infini ; les lois
de ces arts doivent renfermer en plus grand nombre que les aulres,
les divers modes de la réalité infinie. Or, la musique est sans con-