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410                   DE GRENADE A MALAGA.

gères, pour pénétrer les causes qui avaient ôté à l'Espagne toute ac-
tivité et toute influence extérieures. Je crois que c'est Favier qui, le
premier, en France, apprécia la faiblesse politique de l'Espagne dans
 sa désolante réalité. Chose bizarre ! ici la population a tant diminué à
ne rien faire, que le désert envahit le champ cultivé ; et, en Angleterre,
elle a tellement augmenté en travaillant, que le travail ne peut plus la
nourrir.
   Nous cheminions par des sentiers que les caravanes tracent, au-
jourd'hui là, demain ici. Mes compagnons tuaient le temps chacun à
sa manière ; celui-ci en parlant à son voisin, celui-là à son cheval,
l'autre à lui-môme ; l'un d'eux se taisait, et ce n'était point une preuve
qu'il pensât à quelque chose ; un autre qui, sans doute, ne voulait pas
 être confondu avec le reste de la troupe et tenait à prouver qu'il avait
 des connaissances plus étendues que ses compatriotes, sifflait l'air de
 la Marseillaise. Pendant ce temps-là, nos montures arrachaient en
 passant quelques feuilles aiguës d'une espèce de palmier nain, triste
 végétation de ces tristes montagnes.
    Il y avait déjà trois heures que nous marchions ainsi ; notre allure
 était devenue plus pesante. Notre marche avait pris une régularité mo-
 notone qu'elle n'avait point au départ. On éprouve toujours,au commen-
 cement de toute entreprise, une certaine inquiétude, une certaine fièvre
qui se traduit en paroles pressées et en mouvements inutiles. Il est
 rare, par exemple, quand on voyage à cheval, qu'il n'y ait pas, au
Commencement, quelques contestations entre l'homme et la bête. Cela
donne au début d'une course une animation et un air de dé-
sordre qui manquent complètement à la fin ; et qui font ressembler
la première partie à une fête , et la seconde à une déroute.
    Peu-à-peu l'irritation et la lutte avaient cessé de part et d'autre.
La bote avait fait quelques concessions à l'homme, l'homme en avait
fait beaucoup à la bête. Mais l'un et l'autre paraissaient fiers de cette
 réciprocité. Enfin, l'ordre régnait dans nos rangs ! c'est-à-dire, qu'on
parlait peu, qu'on pensait encore moins, que personne ne s'occupait
de son voisin, et que nous ressemblions beaucoup plus à des machines
 qu'à des hommes.
    Je commençais à me complaire dans ce bonheur réservé aux horloges,
lorsque j'entendis éclater à côté de moi une malédiction d'un lyrisme
tout à fait biblique. « Ah ! maudites soient les entrailles de la mère
 qui t'a enfanté! Carajo ! » disait une voix passionnée et retentis-
 sante.... Qui donc avait le droit de vouer ainsi au mal une créature de
 Dieu ? Quel enfant pouvait attirer, sur le sein de sa mère, une si ter-