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                    DE LA RESPONSABrLITÉ SOCIALE.                           71
peuple ne m'est pas suspect ou odieux ; mais j'affirme que ce peu-
Pie n'est pas responsable de sa destinée; j'affirme qu'il y a là diminu-
  >on de la liberté et de la dignité humaines , diminution de l'homme.
    Voyez ce qu'est l'homme dans les sociétés antiques : il y apparaît
comme incrusté dans des civilisations immuables ; sa personnalité ne
peut s'y mouvoir, enveloppée qu'elle est dans un réseau d'institutions
o autant plus inflexibles qu'elles semblent imposées par les Dieux mê-
me
    3 - Regardez le serf du moyen-âge, enfoui pour ainsi dire dans
les fondements même de l'édifice féodal qu'il remplit de ses gémisse-
ments. Voyez l'esclave perdu dans la société romaine, combien de
S'ècles, combien d'efforts, que de larmes, que de sang, que de dé-
faites e t de victoires, avant que cette chose vivante et nue, qui n'est
r
  ien et qui n'a rien, pas même le droit d'avoir une famille, devienne
•e citoyen moderne, le citoyen armé de tous les droits et de toutes
'es garanties que la loi consacre : droit de publier sa pensée, c'est-
à-dire d'influer sur la pensée et la vie morale de la société à laquelle
u
    appartient, droit de faire la loi, en déléguant ceux qui la font, droit
d'assurer son exécution, en nommant ceux qui l'exécutent, droit de se
réunir, de s'associer à ses semblables, afin de multiplier sa pensée et sa
force, par la pensée et la force de tous, etc., etc. ! Qui reconnaîtrait
dans ce souverain, remplissant aujourd'hui la société tout entière de
son individualité, pouvant agir sur elle de mille manières, la façonner
à son gré, qui reconnaîtrait l'hôte misérable de Vergastulum romain,
ou le serf attaché à la glèbe ! Comme il s'est transformé ! Quel agran-
dissement prodigieux ! Il a vraiment passé du néant à l'être. Cette
liberté, lot de quelques-uns, cette responsabilité si lointaine, si élevée,
si hors de sa portée et de ses atteintes, il l'a attirée à lui, il s'en est
emparée ; elle lui appartient maintenant. Ce ministère et cette magis-
trature sociale, tour à tour dévolus au Prêtre, au Seigneur, au Roi, et
tour à tour exercés par eux, c'est lui qui les remplit maintenant.
Cela est rigoureusement vrai. Jugez des conséquences qui en décou-
lent. Le connais-toi de Socrate est une maxime qu'il ne faut
Pas se lasser de répéter au citoyen de notre temps .- connais ce que
 tu vaux, ce que tu fais, ce que tu peux faire en bien comme en
 m
   al, l'initiative qui était ailleurs est en toi, et là où est l'initiative, le
 commandement, l'action, là est la responsabilité. Cette orgueilleuse
 parole de Fichte : « le moi crée le monde, » sera de jour en jour
 Plus vraie, appliquée à l'ordre politique.
     H semble qu'une telle explosion d'individualisme va porter un
 coup mortel à l'unité. Loin de là, elle l'engendre. La révolution de