page suivante »
A L'USAGE DES PARTIS POLITIQUES. 761 victorieuse a voulu s'agenouiller et se plonger dans le mysticisme po- litique, où elle s'est déliée de ses jugements et alarmée de ses désirs, où elle a appelé une règle, cherché un maître perdu, regretté une muse- lière brisée. Laissons donc tomber sans trop d'inquiétude toutes ces larmes sur le cadavre du dernier pouvoir ; elles ne le réchaufferont pas. La question n'est pas même de savoir jusqu'à quel point elles sont méritées, mais bien s'il y a quelque chose de réellement changé qui rend impossible le retour des formes politiques du passé. Qu'y a-t-il donc de changé ? Nous répondons — l'homme ; l'homme plus éclairé et plus juste, en un mot, meilleur qu'il n'était autrefois. Plus l'individu est inhabile à concevoir le but social et à remplir ses devoirs sociaux, plus le pouvoir est absolu en fait, nous ajoutons, plus il doit l'être en droit. Aussi quand on remonte les âges de l'humanité, on rencontre toujours en s'avançant vers son enfance, le pouvoir plus tyrannique, plus irresponsable, plus divin. Mais c'est ne pas avoir le sentiment de la réalité historique que de méconnaître les modifications qui ont été apportées à ses conditions d'existence. De jour en jour il est devenu moins personnel à une dynastie, moins dévolu à une caste. De l'état de droit divin, de propriété immuable et sacrée, il est passé à l'état de fonction responsable. L'autorité est devenue plus humaine, et l'obéissance plus raisonnée. La tendance de notre époque, le but et le résultat de toutes nos luttes, sont de faire participer l'homme au gouvernement dans une mesure toujours croissante parce que l'homme à proportion qu'il s'a- méliore aspire à se gouverner lui-même, c'est-à -dire à réaliser sa li- berté. Et pourrait-il en être autrement? L'amoindrissement du pou- voir n'est-il pas le corollaire fatal du perfectionnement de l'individu? à mesure que la moralité et la capacité individuelle se développent, la force brutale de l'autorité ne doit-elle pas décroître ? A quoi bon le perfectionnement de l'homme, s'il n'avait pour conséquence de l'é- manciper ? où tendrait donc le progrès s'il ne menait à la liberté ? aussi l'individu a toujours marché de la passivité à la liberté. Toujours le sujet a voulu s'élever à la dignité de citoyen. Sentiment d'égoïsme et d'orgueil dira-t-on?— Non pas. — Mais soumission à sa destinée et sentiment de son devoir. Tandis que l'esclave ne peut ni mériter ni démériter, l'homme, en tant que citoyen, a des devoirs à remplir, une responsabilité à supporter ; or, s'il est permis de déléguer l'exercice d'un droit, il n'est pas permis de déléguer l'accomplissement d'un de- voir sans encourir une dégradation inorale. Le pouvoir n'est donc plus une force qui existe par elle-même el