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408 DE GRENADE A MALAGA. les charmes que l'on rencontre sur les rives animées des fleuves, et pourtant elle n'a rien à envier à aucune ville, à aucun climat. Elle est assise sur les premiers gradins des montagnes neigeuses, au bord d'une plaine immense, qui semble se dérouler devant elle comme un tapis de verdure et de fleurs ; la Sierra Nevada lui envoie ses brises les plus folles et les plus vives ; les ruisseaux qui en descendent, ap- portent dans ses rues et les murmures, et la fraîcheur de leurs eaux ; les grands peupliers frissonnent sur leurs bords, comme des bai- gneuses toutes nues, et le chant des oiseaux, cachés dans leur om- brage, lui font un concert plein de caprice et de gaîté. Sur sa tête resplendit le ciel dévorant du midi, et, à ses pieds, cette plaine célèbre de la Vega, entourée de ses montagnes bleuâtres et presque trans- parentes , ressemble à une coupe précieuse où le soleil fait brûler d'éternels parfums dans le calice de toutes les fleurs. Il est, dans toutes les contrées, des lieux de prédilection qui ont gardé, dans leurs enchantements indéfinissables, comme l'empreinte laissée par une divinité qui s'y serait reposée. En Espagne, ces lieux favorisés acquièrent plus de charme, par le contraste de leur beauté avec la sécheresse et l'horrible maigreur du paysage qui les environne. Dans notre pays, au contraire, la terre est assez uniformément vêtue d'une livrée vert pomme,sinon riche en teintes éclatantes et en contras- tes puissants, du moins satisfaisante pour les vues, délicates et pour les imaginations bornées. Mais, en Espagne, partout où l'on trouve un peu d'eau sous le feuillage, un peu de mousse et de fraîcheur, on a un paradis ; et, quand on regarde par-dessus la haie d'aloës qui l'en- toure, l'œil se perd sur la surface poudreuse d'un désert. Grenade et ses plaines sont une de ces oasis fortunées. L'ensemble et les détails, tout est fait pour le plaisir des sens. L'air y est si suave, la terre si belle et si parée, les montagnes qui bornent l'horizon ont des formes et des nuances si harmonieuses, qu'il se mêle à l'existence une sensation de bien-être physique, et qu'on trouve à se sentir vivre un charme tout nouveau. Aussi, à mesure que je m'élevais le long des montagnes au-dessus de cette Vega de Grenade, dont la possession coûta tant de sang aux barons castillans, dont la perte arracha tant de larmes aux Maures que ses charmes avaient énervés, je sentais refluer vers mon cœur une invincible mélancolie. —Quand on jette ses regards en arrière, on comprend pourquoi le dernier des rois maures, le pauvre Abdali, el rey Chico, le petit roi, comme disent les chroniques, arrivé sur un rocher d'où il pouvait voir Grenade pour la-dernière fois, se pencha