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                        DE GRENADE A MALAGA.                      411
rible colère? C'était, mon cher ami, un rustre de notre caravane, qui,
les mains derrière le dos, parlait à son... .âne.
       La faim, Voccasion, mais non pas l'herbe tendre,
je t'assure, poussaient celui-ci à s'attarder autour de quelques plantes
 sauvages. Son maître avait mis pied à terre un instant, par condes-
 cendance pour deux porcs vivants qui, attachés de chaque côté de la
 selle, écrasaient le pauvre animal. Il le suivait en le maudissant,
 comme tu as vu : c'était moins pénible que de le prendre par la bride.
    Peu de temps après cet incident, nous rencontrâmes, dans un des
 replis de ce terrain sec, chauve, altéré, sur le bord d'un ruisseau sans
 verdure, sans ombrage, sans eau, un village sans habitants, où je pus
 bien compter en tout une sixaine de maisons. A l'angle de l'une de
 celles-ci, tournée vers la campagne, c'est-à-dire vers le désert, on
 avait écrit sur une couche de chaux : < Place de la Constitution. »
                                             •
 Une place, et pas de ville ! une constitution, et pas d'habitants ! C'est
ainsi, qu'en Espagne, on est toujours frappé delà grandeur des mots
et de la petitesse des choses. Dans la langue, l'épithète étouffe le subs-
tantif; à la tribune, l'emphase tue le sens commun. Pauvre nation !
 tellement dépourvue de la notion d'une morale sociale, de l'idée d'un
 devoir, qui doivent conduire les peuples sur la mer mobile des révo-
 lutions, qu'elle oscille, depuis le commencemeiit'du siècle, comme un
 pendule inerte, entre l'absolutisme et la liberté. Pauvre peuple ! qui
n'a pu supporter ni l'un ni l'autre, et qui n'a rencontré que des hommes
médiocres dans ses tribuns et dans ses tyrans !...
    En sortant de ce village, je gravissais lentement, à la suite de mes
compagnons, une colline assez raide, lorsque le pas pressé d'un cheval
qui venait derrière moi, me fit brusquement retourner la tête. Je me
trouvai alors, à ma grande surprise, en face de l'espagnol avec qui
j'avais causé à Grenade, quelques heures auparavant.
    — Buenos dias ! caballero ! me cria-t-il avec cette expression de
franche cordialité et ce geste amical sans gaucherie et sans affecta-
tion, qu'on retrouve, en Espagne, dans presque toutes les classes de
la société, et que l'on pourrait appeler de la grâce, si ce mot n'était
réservé pour peindre ce qu'il y a de plus séduisant chez les femmes.
    — Viva! viva! lui dis-je à mon tour, vous vous êtes donc décidé
à venir avec nous ? Je croyais, en vous quittant, que vous étiez allé
faire la sieste.
   — Et vous ne vous étiez pas trompé. On fait toujours bien de
dormir un peu dans la journée. Qui sait où on couchera le soir?