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30(5                     U i ilOliTK DE MONTAIGNE.

 s'en cacher. Sous ce rapport, le XVII" siècle et le XVIIIe, Port-Royal
 et les Encyclopédistes l'ont également mal jugé. Port-Royal tout entier
 s'insurge contre son scepticisme, qui laisse pourtant la religion in-
 tacte ; le plus grand homme de cette illustre compagnie, l'austère Pas-
 cal, se montre encore plus sévère pour Montaigne que pour les Jésui-
 tes. Le livre des Essais, selon Pascal, est pernicieux, immoral, plein
de mots sales et déshonnêtes ; Montaigne ne songe,dans tout son livre,
 qu'à mourir mollement et lâchement. Dans la logique de Port-Royal, il
n'est pas mieux traité ; on ne lui rend même pas justice littérairement,
et on profite de ses dépouilles tout en le critiquant.
    Le XVIIIe siècle se trompe aussi en revendiquant Montaigne comme
 un des champions de sa cause. Il y a un abîme entre le doute de
 Montaigne et celui de Voltaire. On dira peut-être qu'une fois la porte
 ouverte au premier doute, la négation absolue finit par entrer. Mais,
 ce serait là condamner l'esprit humain à ne choisir qu'entre des ex-
cès. Entre l'aveugle soumission et l'ironie universelle, il y a ce milieu
de raison calme et lucide, il y a cet examen libre et sans témérité de
Socrate, de Montaigne, de Descartes. Montaigne est un philosophe qui
examine, Voltaire est un railleur qui déchire sans examiner. Mon-
taigne, il est vrai, se repose avec complaisance dans son doute ; mais,
c'est précisément parce que ce doute ne s'applique qu'aux choses d'o-
pinion humaine, et que ce repos de l'âme du penseur est basé sur une
 certitude, sur une croyance restée à l'abri de toutes les atteintes. Le
 doute de Voltaire s'exprime par le rire, il n'emporte avec lui aucune
de ces douleurs qui se sont attachées, de notre temps, aux intelligences
privées de foi. Mais, si Voltaire est ainsi heureux et fier de douter, ce
n'est'pas qu'il juge que la vérité soit hors de la portée de notre raison,
qu'il considère comme un acte de sagesse de s'abstenir ; non, il s'exa-
gère, au contraire, la puissance de la raison. Rien de ce qui est, d'après
Voltaire, n'est au-dessus de la raison ; si donc la raison est incapable
de saisir la vérité, c'est que la vérité n'existe pas, c'est qu'il n'y a rien
de réel en dehors du moi humain, en dehors du moi de Voltaire ; c'est-
à-dire qu'il n'y a qu'une seule affirmation raisonnable en métaphy-
sique, l'affirmation du rien, que le rien seul existe. Alors, cet égoïsme
titanique s'exalte, quand il a fait le vide et le néant autour de lui, lors-
qu'à force de tout détruire, il reste seul avec le sentiment de sa person-
nalité, sur les débris de tout ce que les hommes ont aimé et adoré ; et,
il est logiquement forcé d'admettre ce résultat si doux à son orgueil,
c'est que le seul être, le seul dieu, la seule chose qui ne soit pas le
néant, c'est lui. C'est pour cela que Voltaire porte son doute avec tant