page suivante »
330 LES BÉGUINS. La pureté des mœurs s'altère ; les croyances s'abâtardissent ; la charité se racornit ; le travail mollit. Mais, par contre, la ferveur reli- gieuse s'exalta ; les processions se multiplièrent ; les rixes fleurirent ; la brouille des ménages poussa drue ; les horions plurent comme grêle, et cette pauvre terre, où croissaient paisiblement le seigle et la patate, a vu grandir la palme du martyre arrosée du sang des néo- phytes. Un pauvre mendiant, couvert de haillons et de vermine (1) a fait à lui seul cette grande révolution ! Les temps annoncés par les prédictions étaient accomplis. St-Jean- Bonnefonds attendait d'heure en heure le prophète, qui devait con- duire les Béguins dans les voies du roi des saints. Jacques Brossy, Benoit Gouilloud, les phis avancés dans l'initiation du Béguinage, de- mandaient, chaque jour, à la femme Dancer, si elle ne voyait rien ve- nir, et, chaque jour, la pieuse matrone retournait chez elle tête bais- sée.... Le prophète n'était pas descendu d'en haut. Cependant, les prophéties ne pouvaient pas mentir. Elles ne men- tirent pas ! Dans une petite bourgade de la Haute-Loire, à ïence, vivait un maçon, pauvre comme Job, et visité, comme lui, par tous les parasites que l'entomologie a seule le droit de nommer. Chargé d'enfants, fâ- cheusement éprouvé dans ses affections matrimoniales, de misères en misères, il tomba dans cet état mental où la réalité fait place aux hal- lucinations de la béatitude. Un jour qu'il gâchait péniblement son mortier, courbé par la vieillesse et le malheur, il se crut subitement illuminé d'un rayon du Tout-Puissant. Et il fut transfiguré ! Jetant la truelle, abandonnant femme et enfants, muni d'une bible donnée par un mômier, il partit, poussé par un souffle inconnu. Jean- Baptiste Digonnet marcha devant lui, méditant l'Apocalypse, dont il fit son évangile, sa bible, son coran et ses védas. 11 s'appropria, tant bien que mal, les mystiques visions de Pathmos, en les travestissant dans un jargon étrange, incohérent, qui ne devait fasciner que des pauvres d'esprit à la hauteur de ce cerveau dérangé. Tourna-t-il au nord ? lourna-t-il au midi ? Nul ne le sait. L'em- preinte des pas du prophète n'a point laissé de trace lumineuse. Ce- (i) La vérité a pour l'historien des exigences à nulle autre pareilles. Le vrai, par- fois, est brutal, mais il est le vrai. Nous en demandons pardon au goût académique des lecteurs de la Revue.