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702 LYON APRÈS LE 9 THERMIDOR.
mais non abolies. Les proclamations des proconsuls, les actes des
autorités rappelaient constamment à leur observation , impossible
dans les circonstances. On avait donc tous les inconvénients d'une
législation qui tombe sans être remplacée. Le signe monétaire, cet
instrument essentiel de toutes les relations matérielles, manquait com-
plètement : l'argent était encore obligé de se cacher comme un pros-
crit, et le quintal de blé coûtait douze cents livres en papier. Jamais la
Révolution ne fut plus menacée au-dedans, plus près de périr, toute
victorieuse qu'elle était au-dehors.
Les historiens ont fait des récits touchants de cette misère de la
population parisienne qui , durant tout cet hiver, se pressait, dès
l'aube du jour, aux portes des boulangeries , bravant les rigueurs
d'une dure saison, pour y attendre en longues files le pain distribué
avec insuffisance, et souvent manquant tout-Ã -fait. Et cependant, il
s'agissait de Paris, le siège du gouvernement, la ville en tout temps
ménagée et privilégiée ! Combien les besoins devaient peser plus
cruellement sur cette cité à demi-renversée, où une population sans
ressources et sans travail errait au milieu des ruines, où des malheurs
communs avaient établi presque l'égalité de la misère !
Le mal excessif et prolongé agit sur les agrégations d'hommes,
comme sur les individus, il finit par éteindre l'énergie, la vertu, les
nobles ressorts de l'âme. Et véritablement la cité lyonnaise avait été
éprouvée au-delà des forces humaines. Elle était à une de ces époques
où l'esprit public se perd ou s'égare. La population de Paris, moins
durement frappée, avait été excitée à la colère par l'impression de
ses maux ; elle se lança contre la bourgeoisie thermidorienne, et fit
ces journées de germinal et de prairial, qui faillirent réinstaller le
gouvernement de la Terreur. Chez le peuple de Lyon, l'effet produit
fut l'extinction de la vie morale. Apathique, incertain, ne sachant plus
de quel côté étaient le droit, la justice, la voie de liberté, blasé par
une trop longue habitude des scènes sanguinaires, il laissa l'assassinat
s'organiser et se consommer sous yeux, sans même avoir l'excuse du
fanatisme politique et de la fièvre révolutionnaire qui avaient accom-
pagné la première explosion de la démocratie.
Tels sont les éléments complexes des faits que nous allons rap-
porter. 11 est beaucoup plus difficile de savoir quelles mains les
mirent en œuvre dans le secret. Sont-ce les Dantonistes devenus
thermidoriens? sont-ce les royalistes ? sont-ce des désordres nés spon-
tanément par la fermentation des passions? Peut-être y a-t-il à la fois
de tout cela ; au moins peut-on reconnaître dans les faits des in-
fluences très-diverses.