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678 REVUE BIBLIOGRAPHIQUE.
être et utile, à certains points de vue, mais il est bien permis sans
doute de lesf accompagner d'un regret.
Pourquoi, dans cette lutte des temps, la langue de la froide raison
l'a-t-elle emporté sur celle du pittoresque et de l'harmonie? La poésie
reste-t-elle définitivement l'effusion de la jeunesse, et le inonde est-il
trop vieux, pour qu'il soit possible de le bercer encore de vraie littéra-
ture ou d'art ? Ce qui est certain, c'est que la langue française a tou-
jours devancé les autres en netteté et en uniformité. Ce fait serait-il
solidaire de cet autre dont se flatte tant notre amour-propre national :
que notre pays a toujours été à la tète de la civilisation et des idées ?
Si nous admettions cette corrélation de l'esprit avec les sons qui lui
servent d'interprètes, faudrait-il insister aussi sur les tendances con-
traires qui semblent se faire jour, et dont le livre de [M. Lurin est une
des manifestations ? Nous voulons parler du sens plus musical qui se
développe incontestablement en nous, non seulement pour la musique
proprement dite, mais aussi pour la parole. Et, en conclurions-nous
que, par cette loi fatale des évolutions qui ramène sans cesse la vie Ã
son point de départ, nous nous rapprochons, à force d'années, de cette
autre enfance qui se complaît, elle aussi, dans les légendes et les
chansons ?
Laissons ces problêmes, pour dire à M. Lurin que son livre nous
paraît surtout manquer de base, qu'il a été évidemment écrit sous l'in-
fluence de préoccupations musicales, et alors que les mots, vivifiés par
le gosier d'un Duprez ou d'une Falcon, chantaient encore dans son
oreille : ce qui prouverait qu'il est musicien, et que ses théories, plei-
nes d'ailleurs d'aperçus ingénieux, sont vraies au moins à son point
de vue personnel. Mais, dans une représentation, la pièce n'est pas
tout, il faut encore un auditoire à môme de la comprendre.
Nous disions pourtant que la tentative de M. Lurin n'est pas isolée
et pourrait manifester certaines tendances : ceci nous amène à rappe-
ler un vieux livre, bien oublié sans doute,—car il fut publié en 1827,
par un M. Dubroca, —et qui nous parait être la préface dont manque
l'ouvrage de M. Lurin ; s'il faut parler un langage que nous connais-
sons à peine, et qu'on nous pardonnera, nous dirons que M. Lurin a
tenté de la composition sans notes : M. Dubroca, lui. au contraire,
cherchait à créer la note, ce qui veut dire que M. Dubroca traitait uni-
quement de la prononciation et de l'accentuation dont seraient suscep-
tibles les mots de la langue française.- accentuation tout-à -fait indis-
pensable, pour arriver au but de l'œuvre de M. Lurin : scander au lieu
de rimer les vers français, ou, tout au moins, scander et rimer.