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DES SOIES GRÈGES, MOULINÉES ET TEINTES. 673
entre vendeurs diminue les bénéfices des producteurs de soie et que le
monopole augmente ceux des fabricants? Est-il juste que les uns jouis-
sent des avantages de la liberté et que les autres en soient privés ? Est-
il juste qu'il ne soit pas permis à chacun de disposer, dans les mêmes
conditions, des produits de son travail ? Est-il juste que la loi inflige
des pertes à tels producteurs et accorde à tels autres des avantages, et
crée ainsi un système arbitraire pour la répartition de la richesse
sociale, système qui n'est pas sans analogie avec celui que M. Louis
Blanc prêchait au Luxembourg ?
Il semble qu'il suffisait de poser ainsi la question pour qu'elle fut
résolue sans discussion. Mais la manie de protéger les uns aux dé-
pens des autres, la croyance qu'il faut rendre la loi arbitre des desti-
nées industrielles , la prétention de faire mieux en faisant autrement
que la libre nature des choses, sont si invétérées, on pourrait dire si
incurables en France, qu'il a été nécessaire de batailler à outrance, et
que la raison et la justice n'ont remporté qu'une demi-victoire. Les
adversaires de la liberté d'exportation et la commission choisie dans
le sein du Conseil général pour examiner cette proposition, ont mon-
tré une opiniâtreté digne d'une meilleure cause.
Le marché naturel de la soie, disaient-ils aux sériciculteurs, est Ã
Lyon et à St-Etienne. Quand vous aurez ruiné les fabricants de ces
deux villes en exportant vos soies, Ã qui vendrez-vous vos produits ?
— Merci de votre sollicitude ! pouvaient répondre les partisans de la
liberté ; mais le marché naturel d'un produit n'est que là où il se
place avec le plus d'avantage. Obéissez-vous à une autre règle quand
vous vendez vos étoffes ?
L'agriculture est sœur de l'industrie. L'intérêt des producteurs de
soie est lié intimement à celui des fabricants de soieries. —Raison de
plus pour les soumettre à la même loi, et les traiter avec une égale jus-
tice. Au reste, si vous voulez rétablir les droits à l'importation des
soies étrangères qui existaient avant 1833, nous sommes prêts à re-
noncer à nos prétentions à la liberté d'exporter.
Ceci est inadmissible, car la soie indigène ne suffit pas aux besoins
de la fabrique nationale. Elle est obligée d'employer pour 60 millions
de matière première étrangère. — Puisque la production française est
insuffisante, n'avez-vous pas tort de craindre la libre exportation ?
Mais les soies indigènes ont des qualités spéciales, qui font précisé-
ment la supériorité de nos tissus. Si nous sommes privés de ces qua-
lités, nous ne résisterons pas à la concurrence de nos voisins.—Alors
ne recourrez pas à la oi pour acheter nos soies moins cher qu'elles ne
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