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624 CHRONIQUE MUSICALE. Il faut .encore citer, dans le dernier acte, un chœur véritablement aérien, qui ouvre, puis termine la fête chez le sultan Badel-Boudour. Enfin , les sémillants couplets : Au nom de la jeunesse, Comprenez l'ivresse, que Mlle Lavoye articule et mime avec une coquetterie et un charme irrésistibles. Il en est de même d'une gamme montante de deux octaves, enlevée par traits pi- qués à intervalles de seconde. Rien de plus délicatement fini, et surtout de mieux à sa place, que cet élan de coquet défi qu'elle jette au sorcier en lui arrachant le talisman. Croyez-nous, gracieuse artiste, croyez-en ceux qui n'ont à se reprocher envers vous ni un bouquet, ni une flatterie, ce sont là vos véritables triomphes. Quant à ces cascades de notes sans motif, quant à ces courses forcées à fond de larynx, que le public applaudit ravi de vous en voir sortie sans encombre, sachez et veuillez en être moins prodigue. Il se cache plus d'une sorte de péril sous ces Heurs dont tout votre talent ne parvient pas constamment à dissimuler les épines. Si vous n'entendez point les épigrammes lancées sur la vulgarité de leur choix,que, du moins, le danger de la satiété vous arrête. Songez-y bien : on se dégoûte même des roses ! Peut-être, ami lecteur, ce compte-rendu, malgré mes efforts, vous paraîlra-t-il bien incomplet. Peut-être exisle-t-il eucore, dans cette partition, quelques beautés que je n'aurai pu apercevoir. Absolvez-moi, de grâce : et, si Halévy les a placées a la fin du troisième acte, veuillez in'absoudre sans attendre de moi le ferme pro- pos. Vous savez bien qu'au théâtre, le dernier quart d'heure n'est jamais consacré à écouter. — A Paris, c'est le bon'ton de ne point être resté jusque là .— A Marseille, les couples qui, durant la représentation, se sont formés par signaux télégraphiques, prennent ce moment pour se réunir plus efficacement. — En Allemagne, fût-ce Moriani qui va chanter l'air des Tombeaux, dans la Lucia (comme j'en ai élé témoin à Dresde) si l'heure falaic, l'heure du souper, a sonné sur le cadran qui décore le revers de la scène, vous voyez, comme par enchantement, la foule s'écouler en chu- choltant : Es ist neun uhr ! die grund birnen werden verbrânl. Il est neuf heures ! les pommes de terre seront brûlées. À Lyon,— la ville du tout de soie et tout pour soi, — ce n'est pas le dernier coup d'archet, c'est la frayeur de gâter quelques mètres de damas turc qui donne le branle à la galerie entière. Qui pourrait, dans ce frôlement, ce trépignement général, analyser l'ordonnance d'un quatuor, ou percevoir les soupirs expirants d'un délicat finale ? Compositeurs ! compositeurs ! je vous le dis en vérité : ou assurez d'avance à chaque spectateur sa place d'omnibus, ou renoncez à jamais nous faire écouler votre dernière scène. C'est à vous de choisir: mais vous n'avez que le choix! DD. LÉON BOITEL , gérant.