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594 LIEUX COMMUNS et à les défendre, comme si elles étaient les œuvres légitimes de ses veilles et de ses méditations. Jl s'y cramponne avec des étreintes pas- sionnées, et, comme Orgon, il dirait volontiers à ceux qui cherchent à le débarrasser d'une semblable erreur : On met impudemment toute chose en usage Pour ôter de chez moi ce dévot personnage : Mais plus on fait d'effort afin de le bannir, Plus j'en veux employer à l'y mieux retenir. Ces phrases deviennent peu-à -peu des maximes, des recettes à l'u~ sage de toutes les souffrances politiques. Elles serviraient, au besoin, de mot de ralliement et de cri de guerre. Elles échappent au raison- nement et se changent en croyances imposées par la foi. On leur sou- met son intelligence, on y conforme sa conduite, les sentiments eux- mêmes se modifient en conséquence ; et, c'est ainsi que l'on voit des hommes de mœurs paisibles, de conviction molle, de complexion dé- bonnaire, d'humeur enjouée, surexcités au point de prendre le bruit des discussions pour la trompette du jugement dernier, l'avènement de la République pour l'aurore sinistre du jour suprême, et d'applaudir aux propositions les plus violentes et les plus désespérées. Tout examen de ces vérités-de convention est interdit. On peut discuter, mais ou est sûr de ne pas s'entendre. On est radicalement divisé sur les points es- sentiels. Non seulement ces opinions ne se laissent pas examiner, mais on les emploie, comme un critérium souverain, à condamner les opi- nions contraires. Elles ne sont pas le produit de notre raison, et elles deviennent notre manière de comprendre et de juger ; elles deviennent notre raison elle-même. Parmi ces idées, une des plus répandues, une des mieux accueillie se formule ainsi : Le peuple français est ingouvernable. Sans contredit c'est un des lieux communs les plus incontestés de tous ceux qui forment un oreiller commode et plein de vent à la paresse de notre intelligence. Aussi, de même que le célèbre quoi qu'on die de Tris- sotin, Il est vrai qu'il dit plus de choses qu'il n'est gros. comprend en effet, qu'avec un peuple ingouvernable, les gouverne- ments sont dispensés d'avoir raison ; que le Pouvoir est infaillible par essence ; et qu'il lui suffit, pour gouverner une nation, de l'opprimer- Certes, c'est là une opinion précieuse et d'un grand secours pour la conscience des hommes d'Etat dans l'embarras. On serait donc dis- posé à lui attribuer une grande ancienneté. Elle est pourtant nouvelle