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554                      CHRONIQUE POLITIQUE.

  faillancess du cœur. On a bonne grâce ensuite à se plaindre du scep-
 ticisme qui envahit toutes les classes de la société, du peu de cou^
  fiance dont les masses se montrent, animées envers les lumières de la
 bourgeoisie ; en vérité , qu'est-ce donc que le peuple peut penser de
 ces voix qui tour-à-tour bénissent ou blasphèment ; il pense ce que
 penserait le Musulman s'il voyait aujourd'hui, du haut du Minaret,
 1 lman qui invoque Allah, l'insulter demain, du haut de la même
 tour; le Musulman, après s'être moqué du prêtre , finirait par se mo-
quer d'Allah ; n'est-ce pas là où nous en sommes ? À qui la faute ?
     11 eût été pourtant si facile à M. Quinet, avec un peu de souplesse
 et d'habileté, de rattacher, à l'exemple de tant d'autres, le présent au
passé et de faire de ses anciennes leçons au Collège de France la préface
 d'une orthodoxie récente. Tous les miracles sont possibles, on sait
quelles monstrueuses éclosions sont dues à l'incubation de la peur.
Si M. Quinet avait pris pour modèle MM. tels et tels que nous ne vou-
lons pas nommer, il pourrait à cette heure figurer à côté de M. Thiers,
dans le conseil de fabrique de sa paroisse, et M. Montalembert lui
tresserait des couronnes.
     Mais tel était M. Quinet dans sa chaire du Collège de France , tel
nous le retrouvons sur son banc de représentant. La brochure qu'il
publie témoigne de l'identité de ses convictions ; c'est le même esprit
de progrès et de liberté , mais c'est aussi le même procédé littéraire.
Or, appliqué aux réalités de la politique, ce procédé tombe sous la
critique, et nous avons à son égard quelques réserves à stipuler.
Voyons d'abord en quoi il consiste.
     II n'est personne qui, en parcourant les livres de M. Quinet, n'ait
éprouvé comme une défiance instinctive du monde dans lequel il pé-
nètre à la suite de l'auteur. Si ce monde n'est pas celui des rêves et
des chimères, il en est certainement limitrophe. Le sentiment de la
réalité ne saisit pas le lecteur tout d'abord, les ombres vacillent, les
personnages prennent des proportions sans limites. Le moindre acci-
dent revêt une couleur fabuleuse et l'histoire tourne à la légende et à
la mythologie; on se croirait en face d'un tableau du peintre Martins.
Des clartés fantastiques Péclairent, il en résulte une impression de
fantasmagorie générale qui fatigue à la longue et fait regretter la vie
réelle : vos propres sensations vous deviennent suspectes, on redoute
l'enchantement et les illusions. Après avoir lu le (renie des religions
de M. Quinet, essayez de relire un chapitre de XEsprit des lois de
Montesquieu, et vous comprendrez sans peine que ce qui manque au
talent du premier est précisément ce qui abonde chez le second.