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MÉTAPHYSIQUE DE L'ART. 543 mais comment, dans la pensée divine, l'Art, comme tout mode d'acti- vité humaine, n'est qu'un instrument de la mission de l'homme, un moyen dont il doit user en vue du but social et pour aider à son ac- complissement, un moyen de faire aimer ce but, de même que la reli- gion est un moyen de le faire connaître, et la science un moyen de le réaliser. M. Mollière aurait pu nous montrer comment chaque société, chaque civilisation, c'est-à -dire chaque but social, révélé successive- ment par Dieu à l'humanité, a imprimé une nouvelle direction à l'Art, et a donné au culte et à renonciation du mot Beau une nouvelle signi- fication. Il eût été facile à M. Mollière de nous montrer ainsi la révéla- tion chrétienne donnant une valeur entièrement différente à l'accep- tion de ce mot, et faisant entrer dans sa composition non plus seule- ment l'harmonie des formes matérielles, mais encore tout un monde nouveau d'expression morale. Ce n'est pas que nous niions, contre M. Mollière, l'existence d'un type absolu du Beau, mais nous dirons, à propos de ce type, ce que nous avons dit plus haut, à propos des notions absolues en général : ce type , qui le connaît ? qu'est-il autre chose à notre esprit qu'un terme qui ne représente absolument rien, puisque nous ne connaissons le Beau que par ses manifestations relatives, et que ces manifestations ont été historiquement différentes, suivant le but qu'elles devaient se proposer d'exprimer et de faire aimer, et que les autres fonctions sociales avaient pour mission de réa- liser ? A ce point de vue encore, M. Mollière, qui saisit si bien dans son ouvrage l'enchaînement de tous les ordres de fonctions humaines, aurait pu démontrer que, de même que la science, l*Art repose, au fond, tout entier sur la religion ; car, chose remarquable, dans toutes les sociétés, tant qu'elles ont eu le sens défini du but qu'elles pour- suivaient, tant qu'elles ne sont pas tombées en décadence, les dogmes ont enfanté non seulement l'Art, mais encore la science ; et les sys- tèmes astronomiques et cosmogoniques des Indous et des Egyptiens, par exemple, n'étaient que l'expression rigoureuse de leurs dogmes religieux. Il est impossible d'indiquer ce que pourrait embrasser de recher- ches un semblable ordre d'idées. Mais nous croyons fermement que si M. Mollière eût apporté à une étude de cette nature tout ce qu'il a consacré d'intelligence et de talent à la recherche de formules et de classifications métaphysiques,non seulement il eût rendu à la science un service plus réel, mais il eût encore fourni une preuve bien plus victorieuse de la vérité religieuse, que son but a été de glorifier. • CLAIR.