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520 CHRONIQUE POLITIQUE. Le général Gémeau n'a donc pas , comme on se l'imagine, pris à Lyon l'initiative de la réaction ; homme de mœurs douces, d'opinions indécises, de convictions, flottantes , il a accepté le rôle qui partait de Paris. Plus apte à recevoir des inspirations du dehors qu'à les trouver en lui-même, il a agi comme il lui a été enjoint d'agir. Nous connaissons nombre de personnes qui hantent son hôtel et qui persistent à croire que le général est resté au fond bon républicain. Il se plaît à répéter qu'il n'est ni bonapartiste, ni légitimiste, ni orléa- niste, mais qu'il sert l'ordre et rien que l'ordre. Grâce à leur élasticité, de tels engagements permettent à tous les partis de compter sur lui, et nous pensons, en effet, qu'il n'y a pas de légitimiste, d'orléaniste ou de bonapartiste à Lyon qui, au fond du cœur, ne soit convaincu que le général sert ses opinions ; il faut avouer que tous sont bien près d'avoir raison. Ce n'est pas la première fois qu'on a vu une bon- homie brusque et toute militaire se concilier avec beaucoup d'habileté. Nous avons eu à Lyon ce malheur singulier de changer souvent de préfet. Il en est résulté qu'à son arrivée, chacun de ces messieurs a cru devoir annoncer sa présence par une recrudescence de rigueur. Toutes les autorités de passage dans une ville affectionnent cette ma- nière de se manifester au public. Nous ne sommes pas loin de penser que si M. ïourangin était encore préfet du Rhône, l'état de siège se- rait déjà levé. Mais les lauriers de M. Tourangin ont empêché M. Darcy de dormir, et les lauriers de ce dernier ont eu le même effet sur l'ima- gination de M. de La Coste. M. Gémeau, lui, n'a pas quitté son poste; c'est une sorte de présidence subsidiaire et viagère qu'il s'est crée dans notre département, mais à la condition d'être de l'avis de tous les commissaires ordinaires ou extraordinaires, et on peut être sûr qu'il ne contrariera pas plus M. de La Coste, qu'il n'a contrarié M. Am- bert. Ainsi s'explique la prolongation de l'état de siège de jour en jour plus sévère et plus rigoureux ; ce que l'autorité n'a pas osé faire le lendemain de l'émeute de juin, elle l'accomplit huit mois après. Elle s'est, par exemple, aperçue, ces jours derniers, que le Juif errant était une pièce socialiste, dangereuse pour la sécurité publique, elle en a interdit la 35 e représentation. Nous n'avons pas à faire ici l'apprécia- tion de l'œuvre de M. Eugène Sue, étant de ceux que le mélodrame n'a pas le don de fasciner ni d'émouvoir, mais il est bien évident que l'interdiction du Juif errant est une cajolerie à l'adresse du parti clé- rical. Enfin, Dieu soit loué! l'état de siège aura été profitable à quel- qu'un.' M. Rodin lui doit un cierge. Le général est certainement un protecteur Irop libéral des arts et