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                         CHRONIQUE POLITIQUE.                          519

 tour brûlé et adoré les mêmes idoles ; le général Gémeau, comme tous
 ceux qui ont des positions à conserver, professe l'idolâtrie des faits ac-
 complis ou simplementen train de s'accomplir. Notre misérable époque
 de transition ne comporte pas les caractères faits tout d'une pièce,
 les convictions de longue haleine. Variables comme les événements qui
 nous les imposent, nos croyances durent un jour ; personne ne les
 Puise en soi-même. Voilà le mot et l'explication de tant d'enthou-
siasmes suivi de tant de repentirs. D'ailleurs, le général Gémeau n'est
 plus assez jeune pour attendre ; à son âge, on ne sacrifie plus aux
 dieux inconnus de l'avenir ; on se tient près de la terre ferme, on la
 côtoie avec prudence, sans se risquer au milieu des grandes eaux.
 C'est ce qu'il a fait, et, dans le trajet de février 1848 à février 1850 ,
 on peut ajouter qu'il n'a pas manqué de bonheur.
    Le général Gémeau est, en effet, arrivé à Lyon sans dissimuler son
 drapeau. Le cri de: Vive la République, ne lui déchirait pas la bou-
 che. Emporté par cette chaleur qui lui est naturelle, il le poussait
avec énergie. Qui ne l'a vu à la grande revue du 30 avril, passée
quelques jours après son arrivée dans notre ville, la tète découverte ,
la figure en feu, tout blanc de poussière, parcourant les quais, agitant
son chapeau avec la main, excitant l'enthousiasme de la garde na-
tionale et de l'armée. A quelques trembleurs qui criaient déjà : Vive
Gémeau, il répondait : Non , mes amis, criez : Vive la République.
C'était un beau spectacle. Des branches de lilas ou de peuplier se
dressaient au bout du canon de tous les fusils, mariant ainsi, comme
dans un pacifique symbole, 1a première verdure du printemps à l'éclair
                               -
des baïonnettes.
    Les allures du général, ses paroles, ses actes n'avaient rien d'hos-
tile à la République, il était plein de ménagement pour tout le monde;
était-ce de l'habileté? peut-être. Il se peut qu'aujourd'hui il tienne
en médiocre estime MM. Emmanuel Arago et Martin Bernard ; il se
peut même que la rencontre de M. Laforest lui agrée peu; mais que
ce fût M. Arago, M. Martin Bernard, M. Ambert ou M. Laforest qui
siégeassent à la Préfecture ou à l'Hôtel-de-Ville , le général Gémeau
n'a pas été plus avare de démonstrations amicales envers les uns
qu'envers les autres. En temps et lieu, il ne leur a pas ménagé ses
accolades ; seulement, après les avoir tendrement embrassés, il les a
laissés s'en aller où ils ont'voulu; sa philosophie s'est peu émue de
leur disgrâce, et, certainement, s'il n'a pas embrassé MM. Tourangin,
Darcy et Lacoste-, c'est que l'heure des accolades était passée. On ne
s'embrasse guère, en effet, qu'en temps de révolution.