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                      CHRONIQUE LOCALE.




    Les prudentes fourmis avaient bien raison de se creuser sous terre de profondes
retraites, afin d'y passer chaudement l'hiver; l'hiver, en effet, a été rude, et l'État de
siège, ce dieu bienfaisant et tutélaire qui répand, an dire de certaines personnes, la
joie sur tous les fronts, la paix dans tous les cœurs, l'abondance dans toutes les po-
 ches; ce dieu qui décrète si facilement des choses si difficiles, l'état de siège n'a
pu nous préserver des rigueurs inaccoutumées de janvier, il n'a même pu nous déli-
 vrer rapidement des amas de neiges fangeuses dont uh dégel intermittent nous a gra-
tifiés. Tout ce que le général qui préside à nos destinées a pu faire pour égayer le
cloaque glacé de Lyon, a été de promettre un bal travesti dans son hôtel de la rue
Boissac. Le bal sera brillant et le s mars une date illustre.
  Déjà les rédacteurs des grands journaux de la localité ont taillé leurplume et pré-
paré l'entrefilet suivant qui, sans être précisément neuf, ne manque jamais son effet :
« La fête brillante, si généreusement offerte par le brave général auquel notre ville
« doit tant de reconnaissance, laissera un long souvenir non seulement dans l'espri'
« de ceux qui y ont assisté, mais encore dans le cœur des pauvres qui en ont eu
« leur bonne part. De nombreux achats, de nombreuses commandes avaient été faites
K pour cette soirée vraiment féerique. Tout le commerce de notre ville s'en est
« heureusement ressenti ; l'argent a circulé de l'atelier de la modiste à celui de la
« tailleuse ; il faut le dire, une telle fête est née d'une inspiration patriotique, c'est
« de la belle et bonne économie politique en action, cent fois préférable à toutes les
« utopies désorganisatrices de nos réformateurs insensés, etc., etc. »
   J'en étais là, lorsque, pour me hausser l'esprit, j'entr'ouvris le livre de la Douleur
de notre théosophe lyonnais Blanc Saint-Ronnet, lequel livre se trouve chez Michel-
sen à Leipzig, ainsi que cela est écrit sur la couverture, et j'y ai lu les lignes suivan-
tes, qui m'ont semblé contredire la théorie en usage auprès des grands journaux, et
 qnej'abandonne à leurs méditations: «Lorsqu'un peuple attire les forces de la production
 « sur les objets de luxe, il accroît d'autant sa pénurie. Les richesses de vanité et de
 « superfluité sont la destruction de la nature humaine, il y a le capital qui corres-
 « pond à la production des objets de nécessité et celui qui correspond à la produc-
 « tion des objets de superfluité. Ëh bien ! le second est autant de dérobé au premier,
 « c'est-à-dire que le luxe est autant de dérobé sur le pain. »
    Ceci est peut-être vrai à Leipzig, mais non à Lyon. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas