Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                      DE GRENADE A MALAGA.                          413
l'Opéra n'en ont jamais eu. De longs éperons de cuivre, et une petite
escopette, pendue à l'arçon de sa selle, bruissaient à chaque mouve-
ffient,car tu sauras qu'une escopette est aussi inséparable d'un Espagnol
 •Jui voyage seul, à cheval, qu'un parapluie d'un Anglais. Une grosse
 ceinture bleue complétait ce costume ; et, couchée entre deux, plis de
cette ceinture, une longue navaja (1), repliée dans son manche de
cuivre, montrait au soleil sa tête étincelante.
   Quant à notre cavalier, il semblait avoir divisé son temps entre trois
distractions qui se succédaient régulièrement. Le sombrero sur les
yeux, les mains dans les poches de son pantalon, écartelé sur sa selle
arabe, il semblait dormir comme un matelot dans sa barque, ou un
juge dans son fauteuil. Puis il fumait, et quand il avait fumé, il chan-
tait. Chacune de ces occupations durait bien demi-heure environ. —
Veux-tu un échantillon de ce qu'il chantait ? en voilà un, moins la
voix nasillarde, moins les aspirations gutturales, et moins la traduction
du sens obscène qui est caché, dans toutes les chansons espagnoles,
sous le voile, plus ou moins diaphane, du calembourg:
                Quand je vais à la maison
                      De ma maîtresse,
                Les montagnes me semblent des plaines ;
                Quand je vais à la maison
                     De ma maîtresse ;
                      Et quand je sors,
               Les plaines me semblent des montagnes,
               Les plaines me semblent des montagnes....
   11 y avait encore une autre chanson, beaucoup plus ancienne, dont
il répétait les innombrables couplets.
   Je me rappelle ces vers :
                  Les jeunes filles de notre temps
                  Sont comme les olives ;
                  Celles qui sont les plus vertes
                  Sont aussi les plus mûres.
   La mélodie de ces chansons est souvent très-vague ; presque insai-
sissable. Mais le rhythme, indiqué par la guitare ou les castagnettes,
est très marqué. Ces mélodies fugitives, ainsi emprisonnées dans un
accompagnement vif et serré, sont d'un effet bizarre et qui porte à la
mélancolie : elles ressemblent à des captives qui crient et pleurent au
milieu d'une marche pesante de soldats brutaux et avinés.

  (i) Long couteau.