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<0G DE GRENADE A MALAGA. — Je ne suis pas commerçant, lui dis-je avec la mauvaise humeur d'un poète que l'on prend pour un notaire. Car tu sais qu'en Es- pagne et dans les autres contrées méridionales, on estime peu les commerçants en- général, et que l'on est bien près de les mépriser lorsqu'ils sont français. — Diable! vous n'êtes pas commerçant? Et il me regarda avec un étonnement qu'un certain clignement de paupières rendait quelque peu ironique ; cela voulait dire : Qui êtes- vous donc ? car les Espagnols ne comprennent pas, — et cela ne laisse pas de faire honneur à leur sagacité, — qu'on puisse voyager dans leur pays pour rien, comme ils disent, ou pour notre agrément, comme nous disons en France ; ce qui, du reste, revient absolument au même. — La route est-elle bonne? lui dis-je à mon tour pour reprendre la conversation. — Oh ! ne vous inquiétez pas, caballero ; pourvu que vos chevaux ne soient pas mauvais, tout ira bien. — Et aurons-nous des voleurs ? C'est la question d'usage que les étrangers adressent à chaque pas en Espagne ;, car ils ont la bonhomie de s'imaginer qu'il y a là plus de voleurs que chez eux, parce qu'on y arrête quelquefois les dili- gences sur les grandes routes. — Ne vous mettez point en peine, caballero, me répondit-il. La der- nière récolte des olives s'est bien vendue, et celle de cette année se présente bien. Les voleurs sont occupés à conduire l'eau dans leurs champs. ... — Ah oui ! fis-je à mon tour, ils ont encore plus de goût pour l'a- griculture que pour le vol. — Et cependant l'agriculture est bien pénible, caballero, et les années sont bien sèches. Je vous engage pourtant, ajouta-Ml, si vous voulez bien me permettre de vous donner un conseil, à vous munir d'une somme raisonnable pour les satisfaire, en cas de mauvaise ren- contre; sans cette précaution, ils pourraient bien vous maltraiter un peu, pour vous apprendre qu'il faut que tout le monde vive, et que les voyageurs ne doivent passe mettre en route sans argent là où il y a des voleurs qui perdent leur temps à les attendre. Au reste, vous comprendrez facilement leur mauvaise humeur, si vous voulez vous mettre un instant à leur place. — Certes, lui répondis-je, il est fâcheux d'être pendu ; mais il est déplorable de l'être gratis.