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                           DE GRENADE A MALAGA.                                  407
    — Vous êtes juste, caballero, reprit naïvement mon interlocuteur ;
 chaque profession doit nourrir ceux qui la pratiquent. Et que devien-
 draient ces pauvres gens, s'ils ne pouvaient pas payer le greffier
«hargé de l'instruction , lorsqu'ils tombent entre les mains de la
 justice ?
    — J'entends, lui dis-je : il n'y a d'étranglé que le voleur qui n'a rien
 volé ; l'autre en est quitte pour partager avec le greffier.
    — Sans doute , caballero. En Espagne , nous payons si cher la
justice.
    — C'est une preuve que vous l'aimez beaucoup, lui dis-je.
    Dans ce moment, nous fûmes interrompus par l'arrivée du corsario,
 de ses chevaux, de ses mulets et de ses voyageurs. On m'amena un
 petit cheval qui, s'il ne se distinguait pas par la beauté et la grâce de
 ses formes, avait conservé , malgré l'appauvrissement de sa race et
 l'humilité des fonctions auxquelles il était employé, un certain air de
 fierté et d'insoumission, dernier reflet des brillantes qualités de ses
ancêtres. La selle pouvait servir à plusieurs usages : il était facile de
s'apercevoir qu'elle recevait alternativement des voyageurs, des peaux
de bouc pleines de vin, des balles d'oranges et des caisses d'épicerie.
Une chose d'une utilité si universelle ne devait satisfaire personne ;
heureusement que mon interlocuteur me fit observer avec raison que, si
j'étais fatigué de me tenir à cheval, mon bât serait assez large pour
me permettre de m'asseoir en travers. Je le remerciai de cette consola-
tion inespérée, et au moment où je chaussai mon pied, depuis la
pointe jusqu'au talon, dans les larges étriers mauresques, —invention
que j'ai trouvée très-recommandable, — mon homme à la cigarette me
dit encore.-
    — Àvez-vous aussi des voleurs en France, caballero ?
    Malheureusement mon cheval, qui se mit à trotter pour rejoindre
ses compagnons, lui a empêché — et à moi aussi—de connaître ma
réponse.
    — Vaya usted, con Dios ! (1) me cria-t-il. II était midi, et je sup-
posai qu'il allait se coucher. Le sommeil est la plus grande occupation
d'un très-grand nombre d'Espagnols. Mais tu me demanderas, peut-
être, ce qu'ils font quand ils ne dorment pas. Tout ce que je puis te
répondre, c'est qu'alors ils paraissent éveillés, et rien de plus : Nada
mas.
    Grenade n'a pour elle ni les magnificences des bords de la mer, ni
  (i) Allez avec Dieu ! formule d'adieu très usitée dans le midi de l'Espagne.