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ET DES PÉRILS DE LA SOCIÉTÉ. 401 La question est maintenant de savoir si, le principe d'autorité n'étant plus hors de l'homme, mais en lui-même, c'est l'état sauvage, l'anta- gonisme social qui sortira de la révolution, comme M. Laurentie l'af- firme. A l'en croire, l'autorité extérieure, constituée en vertu de lois primitives, est seule efficace à rapprocher l'homme de l'homme. Qu'elle disparaisse, la guerre éclate aussitôt ; homo homini lupus. Un seul droit prévaut, la force, l'horrible force. Avons-nous besoin de dire que contre une telle doctrine la conscience et les faits protestent ? Étudiez dans la psychologie et dans l'histoire le développement, ou plutôt ce qu'on pourrait appeler la formation successive de l'homme, et vous verrez qu'il ne peut grandir qu'à la condition de se rapprocher des autres hommes ; il n'y a pas un progrès individuel qui ne se ré- solve en progrès général ; l'unité ne se forme que par le développe- ment des individualités qui, à force de s'étendre, s'engrènent les uns dans les autres. Et cela est vrai dans l'ordre spirituel comme dans l'or- dre matériel. Tant vaut l'individualité, tant vaut l'unité. Gomment l'in- dividu crolt-il en forces ? en ajoutant la force des autres à la sienne propre, et pas autrement. Donc le développement de l'individu, loin de supposer l'éparpillement, le morcellement, l'antagonisme, suppose, au contraire, des rapports plus étroits, une vie solidaire. Voulez-vous de tout ceci une démonstration encore plus claire? Prenons les droits que la Révolution a revendiqués et qu'elle a fini par conquérir, et cherchons-en la signification. A quoi se réduit le droit de suffrage ? à donner à l'individu le pouvoir d'influer sur l'état social dans lequel il est placé ? le droit de publier sa pensée ? à mo- difier le milieu intellectuel où il vit? le droit de s'associer, à multiplier sa force et sa vie par la vie et la force de tous ceux avec lesquels il s'associe. Pas de droit, si individuel qu'on le prétende, qui, en dernier résultat, ne s'exerce pour le compte de l'unité. La liberté aboutit forcé- ment à la solidarité. Ce sentiment tout nouveau et si profond de notre temps, ce sen- timent qui nous avertit que notre vie, notre cœur, notre esprit, nos biens, quels qu'ils soient, sont liés à la vie et aux biens des autres, ce sentiment est né de la liberté ; en même temps que ma liberté étend sa circonférence, elle comprend que la liberté des autres envahit la sienne. Loin de s'en plaindre, elle s'en applaudit. Voltaire, ce type de l'indi- vidualisme le plus entier, a écrit ces lignes où éclate magnifiquement le sentiment que nous signalons : « si quelqu'un, dans la voie lactée, voit un indigent estropié, s'il peut le sauver, et s'il ne le fait pas, il est coupable envers tous les globes. »