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 388                          CHRONIQUE MUSICALE.
 italiens. Idéale expression du beau, cet instrument frappe l'âme de recueillement,
•'invite à rêver, lui inocule, sans résistance possible, toutes les douces passions dont
il se fait l'inlerpréle. L'acteur a disparu ; l'homme même s'efface, quand celte voix
bénie tombe dans nos cœurs, et les électrise comme une ondée de printemps vivifie
la nature à son réveil.—Stimulé par la présence de sa digne partenaire et le concours
inusité qui se pressait pour l'entendre, notre grand chanteur a, nous ne dirons pas,
redoublé d'efforts (qui jamais l'eu put accuser) ? mais déployé du moins toutes les
splendeurs de son trésor vocal. Au dernier acte de la Reine de Chypre surtout, il a
élevé ses pathétiques accents à la hauteur d'une véritable éloquence. — Pour moi,
depuis bien longtemps, rien ne m'étonne plus de la part de Flaehat, mais, en
l'entendant ce soir-là, une chose, je l'avoue, m'a surpris, c'est qu'il soit encore à
Lyon et non à Paris !
   Avec deux artistes de ce talent, avec Duprat, qui atteint presque au niveau des
rôles créés pour la décadence de Duprez, l'exécution eût pu être satisfaisante, si tous
les chefs d'emploi avaient été sommés de se trouver à leur poste. Mais, par une
courtoisie dont elle pouvait se passer, on a sans doute voulu réserver à l'étrangère
tout l'honneur du succès. Dans Charles VI, par exemple, nous n'avons pas compté
moins de trois personnages représentés par leurs doublures. M1*8 Marchand, malgré
son zèle, est une reine trop peu sûre de sa puissance, pour figurer dignement l'altière
ïsabeau. Raymond, sons le masque d'Edouard, a reçu du parterre un averlissemen,
que, en toute justice, il eût dû faire partager au directeur. Puis, par un fatal effet
de ricochets, le sémillant Bedford s'est dû produire sous les traits d'un honnête
citoyen, qui certes n'a jamais eu la moindre prétention de savoir chanter, et dont
on avait méchamment, pour ce soir-là, faussé la vocation, dirigée vers un tout autre
genre d'industrie.
   — Avec Thalberg avait reparu l'élégante société, qui, trop rarement, honore de
ses visites le théâtre. Quoiqu'il nous ait quitté après deux concerts seulement, l'il-
lustre pianiste a été reçu et fêlé comme un ami avec lequel on ne compte pas.
C'est toujours un modèle ; et un modèle longtemps encore inimitable. En vain ses
copistes s'épuisent à la peine. Le genre qu'il a créé ne portera pas d'autre nom
que le sien. Son secret, cependant, est bien simple : employer les deux mains à l'ac-
compagnement ou aux ornements, et former, de sons jetés par intervalles, la mé-
lodie qui broche sur ce fonds. Mais la troisième main, qui nait de cette combinaison,
qui jamais la saura manier comme lui ? Qui pourra reproduire, à son exemple, sur
\e piano, le tour de force de Napoléon, dictant à trois secrétaires ? Le héros est
mort tout entier; et, comme lui, le grand artiste trouvera plus d'héritiers que de
successeurs !                                                     DD.

                                                  LÉON JioiTEL , gérant.