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362                           LES BÉGUINS.

 les femmes se serraient les unes contre les autres, comme un trou-
 peau effrayé. Digonnet, en proie à la plus violente exaspération, lan-
 çait, à tort et à travers, ses imprécations habituelles. Ses emporte-
 ments, sa fureur contrastaient avec le maintien grave et réservé de
 ses sectaires.
     Cependant, Balouffet avait été laissé mourant à St-Jean-Bonnefonds.
 On envoya de St-Etienne un médecin pour panser ses blessures. Ses
 coreligionnaires refusèrent de le livrer aux mains profanes de la
 science humaine. Le médecin se retira, bien convaincu, au reste, de
 l'inutilité de ses soins.
     Les Béguins, alors, le pansèrent avec des amulettes, le traitèrent
 avec des cantiques, et, à force de prières, d'invocations, de psaumes et
 de versets de l'Apocalypse, le patient finit par guérir : ce qui fit dire
 à St-Jean-Bonnefonds que, si les Béguins étaient sorciers, le médecin
 ne l'était pas. Cette guérison miraculeuse a fait, dans le pays, le plus
 grand honneur au Béguinage.
    La justice dut s'occuper des faits qui avaient amené l'arrestation
de Digonnet. On voulait le poursuivre pour excitation à la désobéis-
sance aux lois.... du mariage. En effet, le prophète n'avait point levé
l'interdit qu'il avait jeté sur les relations conjugales ; et il avait
trouvé, dans cette défense, maintenue avec la plus grande sévérité,
le ressort le plus énergique de son gouvernement et de sa ty-
rannie.
    Son état mental le protégea contre les justes sévérités de la loi.
 Après avoir été soumis .à l'étude journalière d'une Commission médi-
cale, il fut reconnu que Digonnet était atteint d'une monomanie spé-
ciale, qui n'altérait sa raison que dans le rapport des idées religieuses.
Eu vertu de la loi sur les aliénés, il fut transféré dans un hospice,
avec le plus grand secret, pour éviter les pèlerinages incessants des
Béguins, qui n'ont pas cessé de croire en Digonnet.
    Privé des prédications de son prophète, le Néo-béguinage languit ;
la foi se détend, le zèle tiédit.
    On attend bien toujours sou retour, et, chaque jour, au lever de
l'aurore, la femme Dancer monte au sommet de la montagne pour
 annoncer si elle ne voit rien venir....
     Le soleil seul poudroie et la terre verdoie, mais le messie continue
  à ne pas se révéler. Le temps des miracles et des prodiges est passé.
  Un seul espoir restait ; une jeune Béguine était grosse : une sourde
  rumeur annonçait qu'elle donnerait, pour de bonnes raisons, le jour
  à un messie. Toutes les femmes à Digonnet étaient dans l'attente. Le