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358 LES BÉGUINS. trappes et les embûches ; il étonna toute la milice judiciaire par les richesses de sa tactique et les ressources de sa stratégie. Acculé, pressé, serré, il lutta jusqu'à la fin comme un sanglier terrassé. Pendant le réquisitoire, il hochait la tête avec ce sourire gaulois si plein de bonhomie et de malice, en répétant sans cesse : Faites tous vos efforts ; et moi je ferai les miens ! Il fut condamné, cependant, à trois ans de prison pour escroquerie et association illégale. Un morne silence accueillit d'abord la condamnation du prophète. Tous les Béguins semblaient changés en statues de sel. Mais, bientôt on entendit quelques soupirs, puis quelques gémissements, ensuite des murmures grandissant.... enfin, tout le Béguinage éclata avec un ensemble parfait. Les petits Béguins surtout sanglotaient de leur mieux en fausset. Le petit bon dieu calme, impassible, conserva toute la sérénité de la nature surhumaine. D'un geste solennel, il imposa silence à son peuple. Allez en paix, dit-il, les portes de la prison ne prévaudront point contre moi. Au moment où les gendarmes l'emmenaient, les femmes à Digonnet entourèrent leur prophète ; elles baisaient les pans de sa houppelande, et semblaient toutes vouloir en arracher un morceau. Le cuir de laine résista avec une ténacité qui fait le plus grand honneur à la ville de Vienne, son pays de naissance, La petite église, veuve de son messie, retourna toute dolente à St- Jean-Bonnefonds. Elle appendit ses harpes aux saules de la vallée ; «t elle pleura en se souvenant de Sion. Digonnet fut incarcéré à la maison centrale de Riom. Là , du soir au matin, il catéchisait et recatéchisait sans cesse ; Te veniente die, te deeeilente canebat. Mais il avait affaire à des cœurs endurcis : aussi, la semence de sa pa- role tomba-t-elle dans une terre ingrate, et le grain ne leva pas. Cependant, les Béguins n'oublièrent pas leur prophète ; ils se sou- venaient de ses prédictions, et tentaient tous les moyens humains d'ouvrir les portes de sa prison. Soins, sollicitations, démarches, de- mandes en grâce, tout fut employé pour la délivrance du messie. La révolution de Février, qui renversa un trône et ébranla l'Europe entière, rendit la liberté à Digonnet. Il fut élargi comme détenu politique, ce qui fait le plus grand éloge de la perspicacité du magistrat chargé de lever l'écrou.