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                             LES BÉGUINS.                             339
dut appeler la répression sur l'instigateur de cette petite guerre de
religion.
   Digonnet fut arrêté au milieu de son troupeau ; ses disciples virent
 alors que les temps étaient proches, et que la passion de leur messie
 allait commencer.
    Traduit devant le tribunal correctionnel de St-Etienne, pour simple
délit de vagabondage, le prophète n'eut pas de peine à confondre ses
persécuteurs. II démontra, aussi clair que le jour, qu'il était un dieu
domicilié et inscrit à la contribution directe, personnelle et mobilière.
H représenta même, dit-on, une quittance du percepteur, en disant à
ses juges : Il est écrit : Rendez à César ce qui appartient à César.
   Acquitté sur ce chef de prévention, il fut, néanmoins, au grand dé-
sespoir de son église fidèle, retenu pour être mis à la disposition de
l'autorité administrative, comme atteint d'aliénation mentale.
   Ce fut à l'hôpital d'Aurillac qu'on relégua cette divinité en désarroi.
Trois siècles auparavant, on l'eût brûlé ; en 1847, on se contenta de le
traiter par l'eau froide. Digonnet fut douché, aspergé, baigné, tant et
si bien, qu'il jugea à propos de sauver des eaux son personnage de
Moïse. Le petit bon dieu se tint coi ; il redevint gros jean et maçon,
comme devant.
   Cependant, de St-Jean-Bonnefonds chaque jour, on voyait arriver
en pèlerinage des Béguins fidèles. Digonnet les recevait aussi humai-
nement que possible; les consolait; les fortifiait, et ne leur lâchait de
l'Apocalypse qu'entre quatre yeux, de peur de la baignoire.
   Après quelques mois de traitement, le médecin, bien convaincu que
la cure était complète, ouvrit les portes de l'hôpital au ci-devant
messie.
   A peine avait-il franchi ce seuil maudit, que Digonnet endossa de
nouveau la substance divine, et lança sur cette Babylone impure toutes
les malédictions qu'il avait amassées et refoulées dans cette pauvre
tète, si copieusement arrosée. Son entrée dans sa Jérusalem fut mag-
nifique ; elle n'eut que le tort d'être copiée trop servilement de l'évan-
gile de saint Mathieu.


                                          JULES BERNARD.


        ( La suite au prochain Numéro].