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332 LES BÉGUINS. sont frappés d'une terreur secrète. Le voiturier se fâche, et blasphème celui qui était marqué du signe. Tais-toi, fils de Satan ! s'exclame le vieux mendiant : je suis le pro- phète Elie, conçu par le Saint-Esprit.... Je viens racheter les hommes, place au sacrificateur qui descend du ciel.' La querelle menaçait de prendre une tournure moins oratoire , lorsque Jacques Brossy intervint : aux paroles de Jean-Baptiste Di- gonnet, il avait senti son âme frappée de l'éclair qui terrassa Paul sur le chemin de Damas. Il s'approcha, plein d'émotion ; et, séparant les deux disputeurs prêts à en venir aux mains, il se hâta d'entraîner Digonnet dans un cabaret, où ils s'attablèrent fraternellement. Le prophète et le disciple, après avoir pourvu largement aux be- soins du temporel, entrèrent dans les voies du spirituel. Digonnet an- nonça solennellement au Béguin qu'il descendait en droiture du ciel par l'échelle de Jacob, pour accomplir sa mission de rédemption ; et, selon son usage, il arrosa ses confidences apostoliques des flots de l'Apocalypse. Il fut surtout beaucoup question du dragon, des saute- relles à face humaine, de l'étoile qui a nom : Absynthe, et du cheval roux et du cheval fauve. Jacques Brossy, tout oreille, bouche béante, les regards fixes, les mains jointes, buvait, à longs traits, cette parole inspirée qui l'enivrait de toutes les extases et de tous les ravissements que la foi donne aux croyants. Brossy, fasciné, subjugué, ne douta plus ; il avait devant lui le pro- phète après lequel soupiraient les Béguins. Il apprit à Digonnet qu'il y avait, dans un petit coin du département de la Loire, une Jérusalem gémissante qui attendait les consolations d'un rédempteur, et qui communiait avec lui dans les vérités de l'Apocalypse. Le pauvre vieux maçon de Tence, secouant ses haillons et sa mi- sère, laissa échapper de sa poitrine, avec un soupir gros de toutes ses souffrances, ces paroles que l'histoire a recueillies, et qui contiennent la vérité sur son apostolat et ses prédications à St-Jean-Bonnefonds : Ah! si je pouvais entrer dans cette société, je serais bien là le reste de ma vie ! ! Le sens humain et vulgaire de cette exclamation ne frappa point le pieux Brossy ; son cœur était trop plein de choses saintes et sacrées pour comprendre la naïve ambition de ce malheureux, qui cherchait du pain, le repos, un gît, un peu de bien-être, après toutes les dures tribulations d'un long vagabondage. Brossy emmena donc son prophète à St-Jean-Bonnefonds. Il se dirigea, tout d'abord, vers le hameau du ftabet, et frappa à la