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                                LES BÉGUINS.                             333
 porte des mariés Dancer, dont la foi vive illuminait toute la commu-
 nauté.
    — Soyez bénie, mère Dancer, car je vous apporte la bonne nou-
 velle.
    — Que voulez-vous dire, mon frère, répondit la femme forte, en
 quittant ses travaux de ménage ?
    — Je veux dire, reprit Brossy, que les prophéties sont accomplies,
 et que voilà le prophète.
    A ces mots, la femme Dancer faillit succomber à son émotion. Le
pauvre vieux maçon, relevant sa tête et prenant son attitude la plus
 apostolique et sa voix la plus évangélique, dit à la fidèle béguine :
    — Que celui qui a des oreilles écoute ce que l'Esprit dit aux égli-
 ses : A celui qui vaincra je lui donnerai à manger de la manne qui
est cachée, et je lui donnerai un caillou blanc, et sur ce caillou sera
 écrit un nouveau nom, que nul ne connaît, sinon celui qui le reçoit.
    — Amen ! firent les deux Béguins.
    — Vous attendez le prophète Elie.... c'est moi ! car il est écrit : Voi-
ci, il vient avec les nuées, et tout œil le verra, et ceux même qui l'ont
percé ; et toutes les tribus delà terre se lamenteront devant lui : oui :
Amen !
    — Amen ! firent les deux Béguins.
    Digonnet fut ensuite présenté à tous les apôtres du Béguinage. Vé-
rification faite du signalement donné par les écritures et les prédic-
tions, Digonnet vieux, mendiant, couvert de haillons et de vermine,
fut reconnu remplir toutes les conditions du programme.
   L'esprit de Dieu s'étant manifesté en lui, il fut acclamé ministre,
prophète, sacrificateur et petit bon dieu !
   Et, pour la seconde fois, Digonnet fut transfiguré !
   Lavé, purifié, nettoyé des pieds à la tête, vêtu d'une bonne houp-
pelande de ratine ; pourvu de toutes choses, de cravates de satin, de
blague en velours, de pantoufles en tapisserie, de chemises brodées,
et d'une chique quotidienne.
                     Plus mitonné qu'un perroquet de cour,

 le prophète se laissa bercer par toutes les liesses, les délices et les câ-
lineries de son doux ministère.
    Une veuve et une jeune fille furent attachées à sa divinité pour les
 services les plus discrets et les plus intimes. Il ne se servait plus de ses
mains, et on lui donnait à boire et à manger, car il y a toujours quel-
que chose qui rappelle le terrestre dans la déification humaine.