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LES TABLEAUX.VIVANTS Ã>E M. RELLER. 319 rayon de la heauté, il est bon de le recueillir ; ce n'est pas là faire du paganisme. Écoutez Fénélon, et voyez s'il estimait que l'esthétique ne dût avoir aucune part dans l'éducation : « Je voudrais faire voir à nos jeunes filles, dit-il dans son Traité d'éducation, la noble simplicité qui parait dans les statues et les autres figures qui nous restent des femmes grecques et romaines ; elles y verraient combien les cheveux noués négligemment par derrière et les draperies pleines et flottantes à longs plis, sont agréables et majestueuses, il serait bon même qu'elles entendissent parler les peintres et les autres gens qui ont le goût exquis de l'antiquité. » Ce n'est donc pas un culte stérile que le culte du beau, et il serait en vérité, fort opportun de ne pas trop l'abandonner. Malgré toutes les belles phrases que nos feuilletonistes nous apprennent et que nous répétons après eux, nous sommes pétris de préjugés à l'endroit du beau. Le laid nous déborde ; il nous cerne, il nous envahit, sans que nous fassions rien pour le repousser. Le Français, aujourd'hui, ne diffère guère du Turc dans le jugement qu'il porte sur la beauté. Paris don- nerait aujourd'hui la pomme à la plus grasse, nous laissons Raphaël pour Rubens. Les Grecs n'ont pourtant pas fait de l'embonpoint une déesse. Les tableaux de M. Keller se divisent en tableaux religieux et en tableaux mythologiques. Nous préférons de beaucoup les derniers aux premiers. En voici les motifs. Les sujets religieux tirent surtout leur valeur de l'expression des physionomies. Sans doute l'harmonie des lignes et des couleurs, la vérité des attitudes sont des conditions né- cessaires pour un bon tableau ; pourtant, avec cela seul, vous n'au- rez jamais un bon tableau religieux ; le sentiment, l'expression, la profondeur de la passion, voilà les éléments nouveaux que le Chris- tianisme a introduits dans l'art ; voilà ce qui caractérise excellement l'art religieux ; la statuaire grecque a été le commentaire magnifique et incomparable du corps humain ; elle l'avait pris comme le thème éternel de ses travaux. L'art chrétien ne prit, pour ainsi dire, que la figure, miroir de l'idée, théâtre de la pensée; il concentra là ses efforts; il chercha l'expression, le sentiment, ce je ne sais quoi qui est sous la forme, s'appliqua à saisir l'impalpable, à traduire l'invisible, ce que les anciens n'avaient pas vu, ce qu'ils dédaignaient peut-être. M.Keller fera donc bien de s'en tenir surtout aux tableaux mythologi- ques, et de s'appliquer à les simplifier ; il y a trop de comparses dans ces tableaux, la beauté de Mme Keller ne gagne rien à cet entourage ; elle n'en a pas besoin.