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                       LE DOUTE DE MONTAIGNE.                         307
de légèreté et de joie, et qu'un rire éternel est scellé sur ses lèvres. Il
croit se grandir de tout ce qu'il ôte à la vérité elle-même. Sa person-
nalité profite de tout ce qu'il détruit autour de lui ; chaque négation
est une affirmation de sa puissance ; son doute, en un mot, ce n'est
pas, comme dans Montaigne, un aveu naïf de notre impuissance lo-
gique, c'est le contraire, c'est l'ambition démesurée de l'orgueil.
   La morale de Montaigne, son caractère personnel, tout ce qui res-
sort de son livre, de sa propre vie et des habitudes de son cœur, tous
ses sentiments, en un mot, attestent la bénignité de son doute. La mo-
rale de Montaigne est ferme et solide, quoique douce et modérée; en
matière de devoir et d'honneur, il n'hésite plus. Cette morale est hu-
maine, juste, « toute pratique, et non point ostentatrice et portière »
selon son expression. « Sachez de plus, dit-il, que la vraie vertu est la
 « mère nourrice des plaisirs humains ; en les rendant justes, elle les
 « rend sûrs et purs ; elle aime la vie, elle aime la beauté, la gloire, la
« santé ; mais son office propre et particulier, c'est de savoir user de
« ces biens-là modérément, et de les savoir perdre avec constance....
« Elle n'est pas, comme dit l'école, plantée à la tête d'un mont coupé,
 « raboteux, inaccessible ; ceux qui l'ont approchée savent, au con-
« traire, qu'elle est logée dans une belle plaine fertile et florissante,
« d'où elle voit bien sous soi toutes choses ; mais celui qui en sait
« l'adresse y peut arriver par des routes ombrageuses, gazonnées, se-
« mées de fleurs, et d'une pente facile et polie comme celle des voûtes
 « célestes. »
   « Le livre de Montaigne, disait Pasquier, est un vrai séminaire de
belles et notables sentences, dont les unes sont de son essor, et les
autres transplantées si heureusement et d'une telle naïveté dans son
fond, qu'il est malaisé de les juger pour autres que siennes. » Mon-
taigne est, en effet, si bien nourri, si imbu de l'antiquité, qu'il est de-
venu, il faut l'avouer, bien plus une âme de Plutarque, qu'une âme
faite dans le moule du moyen-àge ; sa vertu est la perfection de la
vertu stoïque, épurée, mais non transformée par le christianisme.
   Le doute de Montaigne n'était qu'à la surface ; son cœur resta cro-
yant, car il fut capable d'amitié. Nul n'a plus haut porté, même senti
et mieux défini cette noble passion. Par ce côté-la même, cette âme de
Montaigne fut une âme antique plutôt que chrétienne. Le sentiment
chrétien c'est l'amour ; parmi toutes les choses dont le bienfait doit
être attribué au christianisme, l'amour moderne, l'amour de Dante, de
Pétrarque, d'Héloïse, est en première ligne ; l'antiquité ignora ce sen-
timent. Mais, c'est la Grèce qui, la première, comprit et sentit le noble