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               LETTRE D'UN GENEVOIS.




                                               S Novembre 184g.


        MON CHER     L...

    En échange des avantages de l'état de siège que je vous dois de
 connaître, vous voulez savoir ce que nous faisons, nous autres pau-
 vres Suisses. Hélas .' que vous dirai-je ! Nous emprisonnons peu,
 nous n'avons aucune fille de bonne maison qui daigne réclamer de
 douaire ; nos gouvernants, vrais goujats, se contentent de modestes
 salaires, au risque de laisser mourir le commerce; nous ne savons ni
mettre l'ordre au dehors de chez nous, ni gagner les indulgences du
 Saint-Père. Bref, nous ne faisons ni ne savons rien qui puisse inté-
 resser des gens d'autant d'esprit et de goût que les Français. Pourtant,
 puisqu'il le faut, je vous dirai deux mots de notre ménage.
   Eh ! d'abord, rassurez-vous, la France ne sera envahie ni par nous
ni par nos réfugiés. Car, vous le savez, la marche sur Paris en tête
de quatre hommes et d'un caporal n'est pas de notre crû. Pour le
moment, donc, nos vaches ont seules l'ambition de franchir la fron-
tière. Un tel état de choses est fort contrariant pour vos gendarmes
et je regrette vivement que l'imagination de ce bon monsieur Dufaure
ait eu à s'exercer sur un sol aussi ingrat. Ce n'est pas que le terrain
ne lui ait été préparé par le sous-préfet de Gex et le préfet de Bourg,
gens fort honnêtes, modérés très-estimables à tous égards, mais peu
républicains et pas du tout véridiques. Ah ! ça la République serait-
elle donc déjà chez vous une maladie chronique et constitutionnelle
qu'elle résiste au zèle de serviteurs si dévoués ? Que je regrette de ne
pouvoir vous faire connaître tous les complots découverts chaque se-
maine et déjoués par ce même sous-préfet de Gex en collaboration
de monseigneur Marilley et du comte D. Mais, nous autres Genevois,
n'entendant rien aux choses de police, nous ne savons broder que
sur la vérité.