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BULLETIN ARTISTIQUE.
CORIHNE ET LE PORTRAIT DE MADAME RECAMIER.
Madame Récamier a laissé, en mourant, à sa ville natale, un souve-
venir tout intime et tout personnel : c'est le tableau de Gérard, qui
représente Corinne, improvisant au cap Misène, et où se trouve, par-
mi les personnages entourant la figure principale, le portrait même de
Madame Récamier. 11 appartenait à l'auteur gracieux de Psyché, Ã
l'artiste si flatté et si chéri d'une génération qui n'est déjà plus même
celle de nos pères, de fixer sur la toile les traits de la femme la plu?
aimée, la plus vénérée de ce petit monde de lettrés et d'artistes, «W J
représentait la société intellectuelle de la France, sous Napoléon.
Gérard, artiste d'une valeur personnelle fort réelle, homme d'un
goût élégant, a été, comme tous les talents de second ordre, la victime
de son époque. La société fait les hommes à son image, et les hommes
réagissent à leur tour sur la société. Mais les grands hommes seuls ont
ce privilège. Les autres disparaissent dans le tourbillon, emportés par
un mouvement dont ils ne se rendent souvent pas compte. Or, Gérard
fut précisément, parmi les hommes de son temps, un de ceux qui con-
servèrent le mieux l'empreinte du côté distinetif, spécial, c'est-à -dire
transitoire, de l'esprit public. Comme son temps donc, il passera-
Comme ceux de cette série d'écrivains, célèbres alors, obscurs aujour-
d'hui, son nom ira toujours perdant l'éclat qu'il conserve encore dans
le souvenir des vénérables dignitaires de l'école des Reaux-Arts et de
ses plus orthodoxes lauréats. 11 demeurera côte à côte avec Laharpe.
Népomucène Lemercier, Joseph Chénier, etc., tous ces hommes, en un
mot, qui ne s'attachèrent qu'à la pâle et conventionnelle réminiscence
d'un passé, que de plus robustes génies eussent été impuissants à faire
revivre.
Ces hommes n'eurent qu'un tort, celui de délaisser la nature pour
l'antiquité, l'œuvre de Dieu pour l'œuvre des hommes. Chateaubriandi
accueilli par leurs rires, n'eut pas de peine à se grandir sur les débris
de leur réputation. La tige vigoureuse de sa poésie, nourrie de la sève
des forêts américaines et des bruyères de la Rretagne, s'élança bien
vite au-dessus de la végétation en fil de fer verni et en calicot teint de
ceux de ses contemporains qui prenaient le titre de poètes. De mêrne>
le contour viril et vivant de M. Ingres a vite fait oublier le lustre glaci*»
qui recouvre les formes arrondies de Gérard, de Guérin et de GirO'
det. Chose étonnante ! il semble que la nature transmette, avec ses
bruits, ses lumières et ses mouvements, les harmonies de l'antiquité-