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                                DE MADAME RÉCAMIEK.                                       65
•a lumière pour les yeux malades de la maîtresse de maison. Mais ces termes
adoucis du langage d'un monde d'élite n'en expriment crue mieux les choses déli-
cates et profondes. Il y avait, d'ailleurs, dans la sérénité de ce monde reposé jugeant
le monde agissant, quelque chose de l'impartialité d'un tribunal olympien. C'était
souvent notre époque vue d'outre-tombe, d'après le mot fait par l'homme dont
 a pensée planait sur celte réunion. Mais cette vue et ces jugements avaient quelque
c îose de solennel qui laissait une trace profonde dans les esprits sérieux. M. de
 chateaubriand était comme le dieu de ce temple, et l'auréole de tristesse auguste
<|ui 1 entourait rayonnait un peu sur toutes les pensées. Chaque jour, à trois heures,
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      ° e r e de la poésie moderne avait auprès de celle qui a été vue comme une vive ap-
parition de Béalrix, son heure intime partagée souvent avec Ballanche, et à quatre
   enres, la porte s'ouvrait pour les autres visiteurs. M. de Chateaubriand assistait
    ordinaire jusqu'à six heures aux visites, mais dans un silence presqu'absolu. Assis
 d und
             e s angles de la cheminée, en face de la maîtresse de la maison, il se tenait
   PPuye sur sa canne, écoutant tout avec intérêt, répondant quelquefois par une
 question uu peu ironique et découragée. Son front et son regard sont restés pleins
 J'isqu aux derniers jours de jeunesse et de vie. Sa tristesse si connue n'était point de
    abaissement. ° n aurait eu tort aussi de la prendre pour les regrets d'une grande
       rsoni
             >alité à son déclin et qui se persuade facilement que la vie se retire de la terre
       rce
             '"•'elle-même s'en va. Chateaubriand sentait plus profondément et plus noble-
           • ' est tome l'ancienne France résumée en lui qu'il voyait mourir; plus que cela
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          -être. Cet homme, qui a si énergiquement tenté de lier le passé à l'avenir, est un de
    eu
         * qui ont eu les premiers une juste idée de cet aveuir; sa tristesse était l'illumi-
  nation d'un voyant. Admis, pour la première fois, à l'entendre, il y a près de dix ans,
  n
    °us apportions à cet entretien si désiré l'enthousiasme d'une foi neuve et juvénile
  * 'ont ce qu'il e s t c o n v e n u d'appeler le progrès, et nous attendions de l'homme
     e
         génie un cantique d'admiration devant cette société future que ses prophètes font
  " e l l e - L e gouvernement d'alors inspirait, comme on sait, fort peu de sympathies à
       '. Cllateaubriand; bien d'autres y sentaient comme lui l'abaissement moral du pays;
  mais dei
               " è r e ces ombres momentanées, l'aube encore invisible d'un monde splendide
  "fus apparaissait dans l'avènement de la Démocratie. M. de Chateaubriand croyait
  aussi a cet avènement, il le voyait suivi de longs siècles issus du même principe.
  Partant de là, il se mit à esquisser à grands traits cette société future dont nous de-
  vions voir les débuts après l'écroulement prévu du trône d'alors. La stupéfaction de.
  'auditeur croissait à chaque phrase. Sa nouvelle Jérusalem, tant rêvée, devenait à
  chaque pas, une lugubre Josaphal; la terre promise, c'était un désert, sombre et
  sanglant ; et au bout du voyage, le repos dans la stupidité d'une demi-barbarie ; de
   vastes troupeaux humains broutaut des pâturages assez commodes, mais le front bas
   et sans regarder jamais le ciel. Si grande que fut notre vénération pour le prophète,
   lout protestait en nous contre la prophétie. Tristesse du prêtre d'un temple qui s'é
   croule, disions-uous, morosité de vieillard. Croire à la décadence, voir dans l'avenir
     abaissement des hommes, c'était blasphématoire ! Hélas ! puissions-nous ne restituer
   jamais au grand poète le titre de voyant que nous lui avons été ce jour-là.
        La tristesse pontificale de M, Chateaubriand, l'hôte vénéré devant lequel chaque