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14                        LE PAYSAN ÉLECTEUR.

 lante et chevaleresque noblesse qui guidait ces bandes indisciplinées
 traînant la potence et la roue à leur suite. Grâce à leur protection,
 grande dame qu'elle est, elle obtient que sa terre de Sévigné sera affran-
chie des contributions imposées à la province, et, après avoir retracé
quelqu'une de ces atroces scènes, elle s'écrie : « Je trouve tout bon,
 « pourvu que les quatre mille hommes de guerre qui sont à Rennes,
 « sous Messieurs de Forbin et de Vins, ne m'empêchent point de me
 « promener dans mes bois, qui sont d'une hauteur et d'une beauté
 « merveilleuses. »
   En vérité, si la Révolution fut légitime, ce fut avant tout pour cette
classe déshéritée des habitants des campagnes qu'elle a rendue à la
propriété et à la jouissance de son propre travail, en l'affranchissant
du triple, joug qui pesait sur elle au nom de l'État par les taxes arbi-
traires qu'elle supportait seule, au nom de la noblesse par la féodalité
et au nom de l'église par la dime. Le Tiers-État des villes, se sauvant
par l'industrie, avait pu acquérir une sorte d'indépendance. Mais, à
la campagne où toute issue était soigneusement close, il n'y avait
plus d'autre rôle après celui de paysan famélique, que le rôle de la
domesticité chez les possesseurs privilégiés ou de collecteur des tailles,
des dîmes ou des droits féodaux. Et l'on s'étonnera que les habitants
des campagnes aient adopté avec enthousiasme et soutenu avec passion
cette révolution libératrice, que devenus citoyens ils aient rempli les ar-
mées qui l'ont défendue avec tant de constance et d'héroïsme, et que
toutes les fois que cette Révolution est menacée, ils se jettent, même
avec exagération et colère, au milieu de ceux qui s'en proclament les
défenseurs !
   Quant à nous dont le vote au 10 décembre et au 13 mai n'a pas été
celui de la majorité des Paysans de nos contrées, nous nous garderons
pourtant d'accuser leurs sentiments et leurs intentions. Nous protes-
terons surtout contre cette odieuse calomnie d'avoir porté au scrutin
la liste rouge dans la conviction profonde qu'on pourrait jeter la
griffe sur quelque bon lambeau du bien d'autrui. Les campagnes, à
notre avis, se sont trompées sur la valeur des noms ; mais elles ont
été pures dans les sentiments qui leur ont fait choisir ces noms. Leur
vote du 10 décembre signifiait honneur et indépendence, gloire na-
tionale. Le royalisme accouru à la curée a traduit tout autrement ce
vote, et, dans son illusion, il a pensé que tout était à lui, et qu'il n'y
avait plus ou presque plus de ménagement à garder. On sait ce qui
est arrivé ; la liste blanche a fait le succès de la liste rouge.
   Évidemment, tout ce dépit vient de ce que l'on s'était persuadé que