Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                         LE PAYSAN ÉLECTEUR.                            13
Voccasion pour rien, faute de marchands. Tant il est vrai que le pré-
tendu repos du despotisme est bien plus fatal à un peuple que les agi-
tations de la guerre civile elle-même !
    Mais au moins le travailleur de la campagne, si profondément misé-
rable, pressuré par son seigneur qui va se ruiner à la cour brillante du
maître, et achevé par les exactions fiscales, ennoblira-t-il ses souf-
 frances, en les supportant au nom de son Dieu ou en les combattant au
 nom de son droit? car enfin l'une et l'autre chose, c'est la vertu, c'est
 le christianisme. Hélas ! non, le jour de l'émancipation n'est pas encore
 venu ; le sentiment du droit n'est pas encore né dans les cœurs, et ce-
 pendant, la résignation en est absente. C'est toujours le paysan des
 Jacqueries, cruel dans la révolte, lâche dans la résistance. Vous qui
 vous extasiez sur les merveilles de ce peuple que la société n'abandon-
  nait point et qui ne la poursuivait point de sa haine, vous avez donc
  oublié les troubles perpétuels que la perception des tailles occasionnait
  dans les pays d'état, la Provence, le Languedoc, la Guyenne, la Bre-
  tagne ! C'était tour-à-tour le désespoir des populations à qui le fisc
  enlevait le dernier morceau de pain, et la répression barbare et impi-
  toyable. Il n'y avait de résignation que pour mourir sur la potence ou
  sur la roue, quand on n'avait pa3 su combattre. « Nos pauvres Bas-
   « Bretons, raconte madame de Sévigné, s'attroupent par quarante,
   « cinquante, par les champs, et dès qu'ils voyent les soldats, ils se
   « jettent à genoux et disent: Meà culpù... On ne laisse pas de pendre
   « ces pauvres Bas-Bretons. Ils demandent à boire et du tabac, et qu'on
   •• les dépêche, et de Caron pas un mot. » Notez bien qu'il ne s'agit
   pas ici du Cévenol hérétique, mais de la catholique Bretagne ; et c'est
   là que le paysan, tombé de peur à la vue d'un uniforme, accepte la mort
   bestialement, demandant pour toute consolation du tabac et du vin, ne
   songeant nullement au passage de l'autre vie, et de Caron pas un
   mot... Plus loin, la spirituelle conteuse dit-. « 11 fut, hier, roué vif un
    • homme à Rennes ; c'est le dixième. » Plus loin encore : « Nous ne
    <
    " son ïmes plus si roués ; un en huit jours seulement, pour entretenir
    " la justice. Il est vrai que la penderie me parait maintenant un rafral-
    « chissement. J'ai une toute autre idée de la justice, depuis que je suis
    " en ce pays. Vos galériens me paraissent une société d'honnêtes
    " gens, qui se sont retirés du monde pour mener une vie douce. Nous
    " v °us en avons bien envoyés par centaines ; ceux qui sont demeurés
    « sont plus malheureux que ceux-là. » Madame de Sévigné raconte
    toutes ces choses, comme très-naturelles et dans les habitudes du
    temps, entre deux anecdotes de cour. Elle reçoit les visites de la ga-