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762                          LIEUX COMMUNS

qui vive de sa substance. M est une création secondaire de la société,
ou plutôt il est la forme extérieure et voulue de cette société elle-même.
 Il ne peut s'en isoler gara» périr. Il n'est, à proprement parler, que
l'opinion publique à l'état d'action. Quand il a perdu ce caractère, il
ne lui manque qu'une chose, l'existence.
    Cette erreur sur la nature du pouvoir dans notre société, a de fu-
nestes conséquences. On se plait à l'armer d'attributions excessives; on
veut le fortifier et on ne s'aperçoit pas qu'il plie sous le poids de ses
armes. On ne lui refuse rien, afin de se conserver le droit de tout at-
tendre de lui. C'est ainsi qu'on augmente les difficultés et les périls
de sa situation et qu'on étend sa surface vulnérable. Nous croyons
sincèrement que le salut du pouvoir, au lieu d'être dans l'extension
de ses attributions, est bien plutôt dans leur restriction. Celui qui
aura fait comprendre à la France que la plus haute mission du gou-
vernement est d'être un modérateur impartial au milieu des partis,
tout en restant le sévère et vigilant gardien de la sécurité publique,
celui-là aura placé le pouvoir dans des régions sereines où les orages
ne sauraient l'atteindre; il l'aura véritablement affermi. Ce qui fait
aux États-Unis et en Angleterre, cette stabilité du pouvoir que nous
envions, c'est la facilité de celui-ci à s'accommoder sans irritation avec
l'opinion publique, c'est la retenue qui l'empêche de jouer jamais le
rôle d'un parti triomphant, c'est son équité politique, sinon toujours
réelle, au moins toujours apparente. La neutralité au milieu des opi-
nions et l'exécution impassible des lois dans l'intérêt de tous les partis,
voilà le but vers lequel l'expérience des peuples contraindra les gou-
vernements à s'acheminer. Il ne dépend pas de notre volonté qu'il n'y
ait plus de partis en France, mais il dépend de la sagesse du pouvoir
de s'en tenir à l'écart, et de ne partager ni leurs fautes ni leurs passions.
    Par malheur, ces idées sont peu goûtées dans notre pays, et il se pas-
sera longtemps encore avant qu'elles exercent une certaine influence sur la
direction des affaires publiques. Au lieu de concevoir l'autorité comme
quelque chose de désintéressé et, pour ainsi dire, A'impersonnel, nous
trouvons plus sage de lui créer une personnalité, d'animer cette per-
sonnalité de toutes nos passions, et de lui faire des intérêts égoïstes et
séparés de ceux de la société. Nous assimilons toujours le pouvoir à
un chef de parti, représentant l'intérêt d'une faction, ou son intérêt
particulier. L'autorité perd ainsi ce caractère inviolable qu'elle devrait
tenir de sa froide impartialité ; comme Caligula, nous décapitons les sta-
tues des Dieux et nous plaçons des tètes de rois ou d'empereurs sur leurs
épaules sacrées. Grâce à cette fausse idée, les partis vainqueurs n'ai-